Grégoire de Nysse, Père de l'Eglise
Grégoire de Nysse (331-395)
Né dans le Pont (Turquie actuelle) en 331, Grégoire, évêque de Nysse en Cappadoce, frère de saint Basile, a laissé une œuvre théologique et mystique qui connaît un regain d'actualité parmi les théologiens modernes.
.Grégoire de Nysse, issu d'un milieu familial déjà entièrement chrétien, subit fortement l'influence de ses deux aînés : sa sœur Macrine, convertie depuis longtemps embrasse la vie monastique, qui fut, dit-il, son « institutrice » et dont il fut lui-même le biographe .Grégoire connut pourtant une période de vie « mondaine », comme il le dit lui-même, en ce sens que, renonçant à la carrière ecclésiastique dont il avait commencé à gravir les degrés, il choisit la profession de rhéteur (qui avait été celle de son père) et se maria (vers 364). Sous l'influence de Basile, Grégoire revint assez vite à une vie d'austérité. À sa demande, il compose un éloge de la virginité en 371 et, grâce à l'intervention du même Basile, est élu évêque de Nysse en 372. En effet, Basile: créera des nouveaux évêchés afin que les évêques orthodoxes soient supérieurs aux évêques ariens c'est dans ce but qu’il plaça son frère comme évêque. Cette élection répondait à des besoins de politique ecclésiastique afin de lutter contre l’arianisme. [1] et aussi contre les pneumatomaques (ceux qui niaient la divinité du Saint Esprit...)
Sous la protection de l'empereur Valens, l'arianisme connaissait alors une nouvelle progression dans l'Église d'Orient, et les évêques fidèles au concile de Nicée, comme Basile, étaient en difficulté.
Grégoire de Nysse était un grand prédicateur et pasteur. De lui nous avons les homélies sur les Béatitudes, sur la prière du Seigneur, le traité sur la profession chrétienne, le traité sur les psaumes …
Après la mort de Basile (379), Grégoire prit peu à peu de l'autorité et sa pensée théologique s'affirma : il écrivit une série d'ouvrages contre Eunome[2], le principal représentant de l'arianisme. Le concile de Constantinople (382) consacra le triomphe du consubstantialisme naguère défendu par Basile puis par Grégoire lui-même. Pendant toute la période où l'empereur Théodose demeura à Constantinople (382-388), l'évêque de Nysse exerça une certaine influence à la cour, où il prononça les oraisons funèbres de la princesse Pulchérie et de l'impératrice Flacilla…Nous avons aussi de lui le commentaire sur le cantique. En 388, n’étant plus apprécié par l’empereur de Constantinople et faisant l’objet d’attaques diverses, Grégoire se retire discrètement et se consacre à son peuple. En pleine possession de son art et de sa maturité spirituelle, il rédigea une vie de Moise un véritable traité de vie spirituelle
Il est fortement influencé par la philosophie grecque : Platon, les stoïciens et Plotin…pensée qu’il mettra au service de la foi.
Grégoire de Nysse avait une conception très élevée de la dignité de l’être humain : nous retrouvons un des thèmes des pères de l'Eglise 'l'image et la ressemblance ' : Dieu a créé l'homme à son image et doit cheminer vers la ressemblance .
« Le fait d’être créé à l’image de Dieu veut dire qu’un caractère royal a été attribué à l’homme dès sa création…la divinité est sagesse et logos (raison, sens) ; tu vois en toi l’intelligence et la pensée, images de l’intelligence et de la pensée première …Dieu est amour et source d’amour : le divin créateur a mis aussi ce trait sur notre visage. » (Grégoire de Nysse, de la création de l’homme, cité dans O. Clément, sources, p74, éd. stock))
Le but de l’humain est de devenir semblable à Dieu (passer de l’image à la ressemblance),il atteint ce but à travers l’amour ; la pratique, la connaissance des vertus « rayons lumineux qui descendent de la nature divine dans un mouvement perpétuel d’adhésion au bien comme le coureur qui est tendu en avant Grégoire utilise un terme présent dans l’épitre de Paul aux Philippiens « epek- teinomenos » c’est –à dire « lancé en avant »(Ph 3,13) :la vie spirituelle, la vie de foi n’est pas statique mais elle est croissance, dynamisme et mouvement….La perfection est toujours un chemin. Il est intéressant de noter que l'humain est à l'image de Dieu non pas par la la liberté ,non pas parce qu'il a le pouvoir d'organiser la nature qu'il est aussi un mystère ,qu'il y a de l'incompréhensible en lui.
"Ainsi, au fur et à mesure que l'âme humaine progresse vers ce qui est toujours en avant d'elle, son désir augmente et l'excès des biens qui lui apparaissent, lui fait croire qu'elle est toujours au début de sa route. Il dit : "Lève-toi" à celle qui est déjà levée, et "Viens" à celle qui est déjà venue. En effet, à celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever et à celui qui court vers le Seigneur, jamais ne manquera le large espace. Ainsi, celui qui monte ne s'arrête jamais, allant de commencement en commencement, par des commencements qui n'auront jamais de fin".
«Ainsi dans l'éternité du siècle sans fin, celui qui court vers Toi devient toujours plus grand et plus haut que lui-même, augmentant toujours par l'accroissement des grâces (...); mais comme ce qui est recherché ne comporte pas en soi de limite, le terme de ce qui est trouvé devient pour ceux qui montent le point de départ de la découverte de biens plus élevés. Et celui qui monte ne s'arrête jamais d'aller de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin». (Homélie sur le cantique des cantiques)
Pour Grégoire Dieu étend sans cesse les possibilités de l’âme, si elle est disposée, pour la rendre capable des biens toujours plus grands …"Ce Christ qui est au-delà de toute connaissance et de toute compréhension qui est l'ineffable , l'inexplicable ,voulant à nouveau te rendre à nouveau image de Dieu s'est fait lui-même par son amour de l'homme image de Dieu invisible; prenant une forme humaine individuelle, il s'est modelé à ton être ,en sorte que pour ta part ,grâce à lui, tu recouvres la conformité et l'empreinte de la beauté exemplaire et originelle ,afin que tu deviennes cet être précis que tu étais à l'origine.".la perfection chrétienne)."mais précise Grégoire c’est la grâce qui agit « ce n’est pas notre œuvre et ce n’est pas la victoire d’une force humaine que de devenir semblables à la divinité mais c’est le résultat de la munificence de Dieu, qui dès sa première origine a fait grâce à notre nature de la ressemblance avec lui … » Il ne s’agit pas de connaître quelque chose de Dieu mais d’avoir Dieu en soi . »
Dans ce cheminement nous retrouvons le thème de la progression :
"Ainsi, il en va comme pour le sculpteur dont le but du travail est de rendre la pierre semblable à un objet existant : l’œuvre n’est pas commencée d’emblée par la fin, mais les règles de l’art imposent à leurs efforts un certain ordre. Il faut d’abord détacher la pierre du bloc attaché à elle, rogner ensuite tout autour les saillies (…), travailler la pierre en creusant ces parties ; et puis, au moyen d’outils plus fins, à la surface plus régulière, racler et lisser les aspérités de la pierre et alors donner à ce qui reste la ressemblance de la forme du modèle, enfin rendre brillante et plus unie la surface de la pierre.
De même, toute notre nature ayant été, pour ainsi dire, pétrifiée par l’inclination vers la matière, la parole qui nous taille à la ressemblance de Dieu suit, pour atteindre la but, un certain chemin et une certaine progression : tout d’abord, elle nous sépare, pour ainsi dire, d’une sorte de bloc de rocher attaché à nous, je veux dire la malice à laquelle nos étions portés par une certaine relation; puis elle rogne tout autour de la matière première le superflu ; après quoi elle commence à façonner l’objet à la ressemblance du but, en faisant disparaître ce qui s’oppose à l’imitation ; et ainsi, par l’enseignement plus fin des idées, en raclant et en polissant notre pensée, elle dessine en nous, au moyen des figures de la vertu, la forme du Christ à l’image de qui nous étions au commencement et nous sommes à nouveau (homélie sur les noms des psaumes )"
Lorsque nous avons Dieu en nous, lorsque l'homme aime Dieu, par cette réciprocité qui est propre à l'amour, il désire ce que Dieu lui-même désire (cf. Homilia in Canticum 9: PG 44, 956ac), et il coopère donc avec Dieu à modeler en lui l'image divine, si bien que "notre naissance spirituelle est le résultat d'un libre choix, et nous sommes d'une certaine façon les parents de nous-mêmes, en nous créant comme nous voulons être et en nous formant par notre volonté selon le modèle que nous choisissons" (Vita Moysis 2, 3: SC 1bis, 108). Pour s'élever vers Dieu, l'homme doit se purifier: "La voie qui reconduit au ciel la nature humaine, n'est autre que l'éloignement des maux de ce monde...
Christ est le modèle et le maître, qui nous fait voir la belle image de Dieu (cf. De perfectione christiana, PG 46, 272a). Chacun de nous, en se tournant vers Lui, se retrouve être "le peintre de sa propre vie", qui possède la volonté pour exécuter le travail et les vertus comme des couleurs qui servent à l'achèvement de notre image. (ibid.: PG 46, 272b). Si l'homme est considéré digne du Christ, comment doit-il donc se comporter? Grégoire répond ainsi: "[Il doit] toujours examiner au plus profond de lui ses pensées, ses paroles et ses actions, pour voir si celles-ci sont tournées vers le Christ ou si elles s'éloignent de lui" (ibid.: PG 46, 284c). Et ce point est important en raison de la valeur qu'il attribue à la parole "chrétien". Le chrétien est quelqu'un qui porte le nom du Christ, et il doit donc s'assimiler à Lui également dans sa vie. (Benoit XVI sur Grégoire de Nysse).
Tout comme son frère Basile, il appellera à prendre des responsabilités vis-à-vis des pauvres.
Les chrétiens (et tout le peuple) de la Cappadoce étaient confrontés à une crise sociale et à une famine qui sévissait …
: « Ne méprisez pas les pauvres qui gisent à terre comme s'ils ne méritaient aucun égard. Demandez-vous qui ils sont et vous découvrirez leur grandeur : ils ont revêtu le visage de notre Sauveur. »
« Ne pensez pas que tout vous appartienne, il doit y avoir une part pour les pauvres ; les amis de Dieu. En effet, la vérité est que tout vient de Dieu, Père universel, et que nous sommes frères et appartenons à une même race. » A quoi te sert-il de jeûner et de faire abstinence de la chair, si ensuite avec ta méchanceté tu ne fais rien d’autre que dévorer ton frère ? Quel gain tires –tu, face à Dieu, du fait de ne pas manger ce qui est à toi, si ensuite agissant injustement, tu arraches des mains du pauvre ce qui lui appartient. »
Porter Dieu en soi, tendre vers l’avant c’est aussi tendre vers l’Amour infini de Dieu et le désirer sans cesse.
Il convient de signaler que le salut n'est pas individuel mais concerne l'Adam total et le cosmos ...Comme le signale Olivier Clément .
Olivier Clément à propos de Grégoire de Nysse :
L’homme est à l’image de Dieu et donc aussi indéfinissable que lui, au delà de tout savoir et de tout pouvoir qui prétendraient l’expliquer et le conditionner. L’image s’exprime dans la liberté, capacité donnée à la personne sa nature dans le mouvement de la communion. A l’image d’un Dieu nom pas monade mais trinitaire, il y a un homme unique en une multitude de personnes, unité originelle brisée par la chute et reconstituée en Christ. Chacun porte en lui l’entière humanité…Dans l’humanité du Christ, le monde se transfigure, et ce germe de résurrection nous est communiqué par les mystères de l’Eglise. La vie spirituelle consiste à purifier en soi l’image de Dieu pour qu’elle devienne un miroir fidèle, selon une similitude –participation. Elle comporte trois étapes : l’éthique, métamorphose des passions, et la correspondance biblique se trouve dans les proverbes ; la physique ou le monde sensible est rejeté comme illusion et réhabilité comme symbole et théophanie (l’Ecclésiaste) ; la métaphysique ou l’âme se dilate dans la sphère divine (cantique des cantiques ).
La connaissance de Dieu est une inconnaissance ou la personne s’élance au-delà du sensible et de l’intelligible. C’est un rythme d’extase, de lumière et de ténèbres, où l’âme, plus elle est emplie de la présence divine, plus elle tend vers l’Autre toujours au-delà. La participation accroit le désir, Dieu est d’autant plus inconnu qu’il est connu, l’homme progresse d’émerveillement en émerveillement, dans un dynamisme ou l’altérité n’est jamais séparation ni l’unité confusion….(O Clément ,Sources, ed Stock)
Postérité
La pensée mystique et théologique de Grégoire de Nysse a eu beaucoup d’influence sur saint Maxime le confesseur, saint Dominique, saint Thomas d’Aquin et saint Jean de la croix... Au dix-neuvième siècle il a un regain d’intérêt de la part de théologiens éminent comme Urs Von Balthasar.
Pour introduire à la pensée de Grégoire de Nysse je mets en fichier ci-dessous le document rédigé quelques années auparavant dans la cadre de l’école de théologie de saint Hilaire sur le traité spirituel « la vie de Moïse » rédigé par votre humble serviteur.
Sous diacre Emile
Ouvrage à conseiller ;
Jean Yves Leloup, la vie de Moise de Grégoire de Nysse ou l’être de désir, éd: Albin Michel.
NB : lors de la présentation d'Irénée de Lyon, je n'avais pas pensé à donner des références d'ouvrage ,ces deux ci sont assez intéressants :
Donna singles , l’homme debout, le credo de saint Irénée, ed du cerf (très belle présentation facile à lire)
Sous la direction d’ Elie Ayroulet, Saint Irénée et l’humanité illuminée, ed. cerf (colloque de 2016).
[1] Remarque ; l’arianisme est une doctrine professée par Arius et ses disciples qui est fondée sur la négation de la divinité de Jésus. L’arianisme niait la consubstantialité, c’est-à-dire, l’égalité de substance du Fils avec le Père et considérait Jésus le Fils de Dieu comme une nature inférieure, subordonnée. Cette hérésie, qui touche un point essentiel de la foi chrétienne: « la divinité de Jésus», a été condamnée par le concile de Nicée en 325.néanmoins la crise arienne durera et provoquera des schismes dans l’Eglise …
[2] Eunome :évêque du 4èsiècle tenant d’un courant radical de l’arianisme .
GRÉGOIRE, ÉVEQUE DE NYSSE, A OLYMPIOS, TOUCHANT LA PERFECTION Ce texte de St Grégoire de Nysse, Traduit par Michel Royer et que nous avons remis en pages après autorisation, à d'abord été tr...
https://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Gdenysse/gregoire.html
La vie de Moïse (Grégoire de Nysse) rapport de lecture par Emile Meunier