Quelques mots pour la route...
Un ancien a dit : "L'humilité, c'est de pardonner au frère qui t'a offensé, avant même qu'il ne vienne te demander pardon."
« L'humilité» le « pardon» voilà deux mots qui apparaissent aujourd'hui un peu usés, voire désuets...
Nous vivons, en effet, dans un monde où Il nous faut faire sans cesse nos preuves afin de nous montrer à la hauteur. Les rapports entre les personnes sont souvent des rapports de force et on apprend dans certaines écoles à devenir des « loups », seul moyen de survivre, selon le discours officiel. Dès lors, humilité et pardon sont considérés comme l'expression d'une faiblesse ; faiblesse qui n'a pas sa place dans ce monde « brutes » ... Au sein même de notre Eglise, ces mots sont regardés par certains avec méfiance. En effet, l'humilité apparaît trop liée à l’humiliation.
Nombreux sont celles et ceux qui ont une histoire à raconter comme celle d'une sœur ou d'un frère qui, dans un monastère, se laissait humilier par les autres pour la plus grande gloire de Dieu ! Aujourd'hui, à juste titre, personne ne veut se laisser humilier. Le pardon, quant à lui, même si on en parle beaucoup, est regardé paradoxalement avec une certaine méfiance, si l'on en juge par le petit nombre de catholiques venant se confesser régulièrement... Pourtant, ces deux mots appartiennent au patrimoine chrétien depuis des siècles. S'il en est ainsi, c'est certainement parce que cela a du sens. C'est pourquoi, aujourd'hui, et même si nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ces deux notions, nous allons nous y arrêter un peu plus longuement.
Le mot humilité, tout d'abord. Ce mot possède une histoire complexe, comme l'attestent de nombreux dictionnaires. C'est un dérivé du latin classique humilitas, signifiant « faible élévation, petite taille, modestie, bassesse », qui désigna en latin chrétien « la modestie, l'abaissement devant Dieu ». Ce mot fut ensuite employé pour désigner l'état d'infériorité de la nature humaine par rapport à Dieu. Enfin, il fut employé pour « humiliation » qui signifie s'abaisser de manière avilissante. On comprend dès lors qu'après le siècle des Lumières, après Nietzsche et après la vogue des mouvements de développement personnel, ce mot ait été rejeté, parfois violemment.
Mais l'humilité au sens d'humiliation appartient-elle à l'esprit chrétien ? On peut en douter.
Jésus, durant sa vie terrestre, n'a jamais cherché à humilier, à abaisser ses interlocuteurs. Il a, bien contraire, toujours relevé celles et ceux qui ont croisé sa route. Jésus n'a pas non plus dit de manière explicite que se laisser humilier constituait un chemin de sainteté. Que notre foi en lui nous amène parfois à nous faire humilier est un tout autre sujet.
« Ma grand-mère me disait que plus on se laissait humilier, plus Dieu nous aimait. »
(Un témoin.)
Alors, il nous faut aller plus loin et balayer ces fausses images du christianisme qui feraient des disciples du Christ des masochistes à la recherche de la souffrance et de l'humiliation. N'oublions jamais ce que disait Irénée de Lyon au Ile siècle .
« La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ! »
Oui, tout comme l'homme est l'espérance de Dieu, la gloire de Dieu, c'est de voir l'homme, le seul être créé à son image. Dès lors, tout ce qui avilit l'homme, tout ce qui le blesse, blesse Dieu. C'est pourquoi il est remarquable de constater que le mot « humilité » vient du latin humus, qui signifie « terre ». La terre, cette terre meuble qui ne demande qu'à être irriguée, travaillée, retournée afin de permettre aux graines que l'homme y sèmera de germer et de croître, grâce à ses soins. Être humble dès lors, c'est être comme la terre. C'est accepter de se laisser travailler par Dieu, afin qu'il assouplisse notre cœur si celui-ci est devenu dur, qu'il l'irrigue si celui-ci est devenu aride, qu'il en élimine les mauvaises pensées qui nous empêchent de croître. Être humble, c'est dire « oui » au jardinier divin, afin que toutes les potentialités qui sont en nous puissent croître, la foi, l'espérance, l'amour, la bienveillance, le pardon... Ainsi, la parole de l'ancien qui associait humilité et pardon prend tout son sens. Pardonner nécessite que nous laissions Dieu travailler en nous afin de donner des pardons qui humainement apparaissent impossibles.
Une chose est sûre : de tels pardons sont vitaux.
On ne peut pas vivre, en effet, sans se sentir pardonné et on ne peut pas vivre sans pardonner.
Extrait de 40 jours avec Maurice Zundel et les pères du désert (Pg 234 à 237) Presses de la renaissance