Homélie sur la sauvegarde de la création Par Père Jean-Thierry
Voici l'homélie qu'avait prononcée Père Jean-Thierry à Béthanie en 2011 lors de Fête de la sauvegarde de la Création (Mardi des rogations)
Merci au Diacre Emile d'avoir retrouver cette homélie.
Fête de la sauvegarde de la création
Homélie du père Jean Thierry à Béthanie en 2011
Nous fêtons donc aujourd’hui la célébration et la sauvegarde de la création. Au cours du chant des vêpres le célébrant dit juste avant d’entamer le chant du magnificat : « Seigneur ne méprise pas l’œuvre de tes mains, ne dédaigne pas l’œuvre de tes mains. » et même s’il a mille raisons de se détourner de ce que nous avons fait de sa création, nous savons que cette prière est exaucée puisqu’il habite sa création. Par contre, nous, ne dédaignons-nous pas trop souvent l’œuvre de ses mains ? Nous saccageons et exploitons la nature, nous la polluons par notre culture productiviste et vorace. Oui, nous dédaignons ce qui est l’œuvre de ses mains et comme le dit saint Paul que nous venons d’entendre : « la création livrée à la vanité de l’homme gémit dans les douleurs de l’enfantement. » Quelle parole d’une extraordinaire actualité, d’une terrible actualité ! Examinons les deux termes cependant de cette puissante allégorie de l’enfantement : la douleur et le gémissement d’une part et l’enfantement de l’autre.
La douleur, parce que à cause de notre vanité, nous avons profané et réifié la nature, réduit la nature à un objet, à une marchandise, soumis cette nature parce que nous avons perdu le sens de la sacralité du monde. C’est cela la racine profonde de la crise écologique. La crise écologique dont on parle dans les journaux n’est pas un événement extérieur fait de mécanisme matériel, la racine de la crise écologique est en nous, dans notre conscience, dans notre comportement, dans notre vision de la nature. Ayant quitté l’intime union à Dieu, ayant perdu le sens de la non dualité, de la reliance avec tout, nous sommes tombés dans un dualisme mortifère d’un côté Dieu et de l’autre la terre, d’un côté Dieu et de l’autre côté l’homme, d’un côté l’homme de l’autre la nature, encore d’autres séparations : l’esprit et la matière, l’âme et le corps. En quelque sorte l’incréé est séparé du créé, le premier n’irriguant plus l’autre de ses énergies. Dieu a été relégué aux cieux comme un lointain horloger, un grand architecte fabricateur du monde ravalé au rôle de cause lointaine, un Dieu concept qui n’a plus rien à transmettre de son être profond et de sa vie. Alors les cieux ne racontent plus sa gloire et la terre est muette juste bonne à être assujettie comme une vulgaire ressource pour servir notre convoitise. Même les chrétiens, hélas, surtout dans l’occident moderne, ont évacué la dimension cosmique de l’incarnation pour verser dans un une religiosité de transcendance froide, de transcendance sans immanence. Une transcendance qui nous laisserait totalement indifférent et qui serait indifférente à nous. Conception, qui du coup, rend le monde désenchanté et réduit la nature à un environnement, comme nous le disons aujourd’hui, quelque chose qui nous est extérieur, comme une sorte de décor dans lequel évolue l’homme. Parce que dans cette religiosité là, seule l’âme individuelle serait sacrée mais il est impossible que le Christ rédempteur soit différent du créateur. Le Dieu qui a sauvé le monde ne peut pas être un autre Dieu que celui qui a créé le monde et donc tout ce qui a été créé est concerné par la résurrection, que ces jours-ci mes amis nous célébrons, rien n’y échappe, tout est concerné par la résurrection : les rivières, les arbres, les rochers, les fleurs, la libellule, l’alouette et l’être humain. Tout est appelé à la transfiguration et à la divinisation alors quittons cette conception dualiste et acosmique qui fait souffrir la nature, cela nous le savons, mais, et Saint Paul nous le dit, qui fait souffrir l’homme, l’homme lui-même. La création, dit saint Paul n’est pas seule, nous aussi, nous gémissons intérieurement attendant l’adoption et la délivrance.
Tournons- nous maintenant vers l’autre pôle de cette allégorie de la naissance : l’enfantement. Et oui, nous sommes là devant le cœur de la révélation chrétienne, quand ces deux pôles se touchent, quand nous savons que l’épreuve conduit à un passage au-delà de l’épreuve. Quand nous savons que la souffrance débouche sur plus haut et sur plus beau que la souffrance, nous sommes quelques uns ici à être malades, ou à être touchés par des épreuves diverses dans notre vie, nous le savons, le mal qui déjà mystérieusement renferme le bien ne saurait vaincre. La croix annonce la résurrection. Alors si la bonne semence de la Parole au sujet de la résurrection tombe en nos terres profondes, comme nous l’avons entendue dans l’évangile, afin d’y réveiller notre sens cosmique , notre sens profond de l’incarnation alors nous pouvons vivre l’émerveillement devant la nature et la contempler comme un buisson ardent, alors nous pourrons affirmer dans la liesse avec Saint Paul : « J’estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. » Vous entendez bien ! « J’estime que les souffrances, celles de la nature et de l’être humain, du temps présent, sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous alors la création aura part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. »
Mes amis réjouissons-nous donc et sachons regarder la nature, la création et le cosmos tout entier avec amour, avec gratitude, avec humilité. La vie spirituelle est-elle indissociable du monde ? A nous d’entretenir avec la nature une relation liturgique. Une relation sacerdotale, puisque nous sommes tous prêtres. Olivier Clément nous dit que nous sommes par rapport à la nature dans une relation de fiançailles. Or le rôle du fiancé c’est de protéger sa bien aimée du viol, voilà notre tâche citoyenne mise devant nous et puis à nous d’admirer la bien aimée et de déceler en elle le mystère radieux de la présence divine. A nous de vivre la contemplation et la solidarité avec frère arbre et sœur la fleur, cousin nuage et cousine alouette. Oui la terre est sacrée maintenue en vie par l’Amour actuel de Dieu et par actuel, je veux dire que cela agit ici, maintenant, aujourd’hui. Dieu n’a pas abandonné son monde après l’avoir créé il y a très longtemps, il est actuellement aujourd’hui en train de l’entretenir en vie. Tout ce qui nous entoure est enceint de sa présence, pénétré des énergies incréées. Oui la terre est sacrée maintenue en vie par l’Amour actuel de Dieu saturée de ses énergies incréées. Le monde n’existe pas en lui-même, il est en Dieu et Dieu n’habite pas seulement dans les cieux mais aussi sur la terre dans le monde avec l’homme.
Alors associons-nous mes amis à toutes les créatures qui sont chantées dans l’apocalypse, je vous rappelle les paroles que nous avons entendues tout à l’heure : « Et toute créature au ciel sur terre et sur mer, tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : A celui qui siège sur le trône et à l’agneau, louange, honneur gloire et pouvoir aux siècles des siècles. Et les quatre animaux disaient : Amen ! Et les anciens se prosternèrent et adorèrent. »
Christ est ressuscité !
Père Jean-Thierry 2011