LA PRIERE LITURGIQUE DE CARÊME : LA RADIEUSE TRISTESSE (part2)

Publié le par Paroisse Lillois

LA PRIERE LITURGIQUE DE CARÊME :
LA RADIEUSE TRISTESSE

Mais c’est alors que nous commençons à réaliser que cette longueur même et cette monotonie sont nécessaires pour que nous soyons à même d’expérimenter « l’action » secrète, et d’abord imperceptible, que cet office exerce en nous. Peu à peu, nous commençons à comprendre, ou mieux à ressentir, que cette tristesse est, de fait, « radieuse » et qu’une mystérieuse transformation est sur le point de s’accomplir en nous. C’est comme si nous abordions en un lieu où les bruits et l’agitation de la vie, de la rue, et de tout ce qui, habituellement, remplit nos journées et même nos nuits, n’ont aucun accès, aucune emprise. Tout ce qui nous semblait tellement important que nous en avions l’esprit rempli, cet état d’anxiété qui nous est devenu comme une seconde nature, tout cela s’évanouit et nous commençons à nous sentir libres, légers et heureux. Ce n’est pas le bonheur bruyant et superficiel qui apparaît et disparaît vingt fois par jour et qui est si fragile et fugitif ; c’est un bonheur profond, qui n’a pas de motif précis et particulier, mais qui naît de ce que notre âme, selon le mot de Dostoïevski, a touché « un autre monde ». Ce qu’elle a touché est fait de lumière, de paix et de joie, d’une confiance inexprimable.

Nous comprenons alors pourquoi les offices se devaient d’être longs et apparemment monotones. Nous comprenons qu’il est impossible de passer de notre état d’esprit habituel – presque entièrement fait d’agitation, d’activi­té et de souci, à cet état nouveau, sans nous être au préalable apaisés, sans avoir rétabli en nous-mêmes un certain degré de calme intérieur. C’est pourquoi ceux qui regardent les offices de l’Église comme des « obligations » et qui s’enquièrent toujours du minimum requis (Combien de fois devons-nous aller à l’église ? Combien de fois faut-il prier ?) ne pourront jamais comprendre la véritable nature de la prière liturgique, qui est de nous introduire dans un autre monde, celui de la présence de Dieu, mais de le faire lentement, parce que notre nature déchue ne sait plus y accéder naturellement.

Ainsi, tandis que nous expérimentons cette mystérieuse libération, que nous devenons légers et pacifiés, la monotonie et la tristesse de l’office prennent pour nous une toute autre signification, elles sont transfigurées. Une beauté intérieure les illumine, comme un rayon de soleil matinal qui commence à éclairer la cime de la montagne, alors que la vallée est encore plongée dans l’obscurité. Cette joie secrète et douce nous est communiquée par les longs alléluias et par toute la tonalité des offices de Carême. Ce qui nous paraissait d’abord monotonie s’avère à présent être la paix ; ce qui résonnait comme une tristesse est maintenant expérimenté comme les tout premiers mouvements d’une âme qui retrouve sa profondeur perdue. C’est ce que proclame le premier verset de l’alléluia de Carême chaque matin : « Mon âme t’a désiré la nuit, avant l’aurore, ô Dieu, car tés préceptes sont lumière sur la terre ! »

« Radieuse tristesse » : tristesse de mon exil, tristesse d’avoir gaspillé ma vie ; mais lumière radieuse de la présence de Dieu et de son pardon, joie de ressentir à nouveau la soif de Dieu, paix de se retrouver chez soi. Tel est le climat des offices de Carême, et la première impression générale qu’il produit sur l’âme.

Extrait de : Alexandre Schmemann,
Le Grand Carême : Ascèse et liturgie
dans l’Église orthodoxe
, Bellefontaine, 1999

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