LA PRIERE LITURGIQUE DE CARÊME : LA RADIEUSE TRISTESSE (part1)

Publié le par Paroisse Lillois

LA PRIERE LITURGIQUE DE CARÊME :
LA RADIEUSE TRISTESSE

Pour beaucoup de chrétiens orthodoxes, peut-être pour la majorité d’entre eux, le Carême consiste en un certain nombre de règles et de prescriptions formelles, surtout négatives : abstention de certaines nourritures, défense de danser, peut-être aussi privation de cinéma. Nous sommes si loin du véritable esprit de l’Église qu’il est presque impossible de comprendre qu’il y a dans le Carême quelque chose d’autre, quelque chose sans quoi toutes ces prescriptions perdraient une grande partie de leur sens. Le mieux qu’on puisse dire de ce « quelque chose d’autre », c’est qu’il est comme une atmosphère, comme un climat dans lequel on entre ; c’est avant tout un état d’esprit, d’âme et de cœur qui, pendant sept semaines, imprègne toute notre vie.

Redisons encore ici que le but du Carême n’est pas de nous imposer quelques obligations extérieures, mais d’attendrir notre cœur pour qu’il puisse s’ouvrir aux réalités de l’esprit et expérimenter une faim et une soif secrètes de communion avec Dieu.

Cette atmosphère, cet état d’esprit unique sont créés principalement au moyen de la prière liturgique, par les différentes variantes introduites dans la vie liturgique de ce temps. Considérées séparément, ces variantes peuvent apparaître comme des « rubriques » incompréhensibles, des prescriptions de pure forme auxquelles il faut se plier ; mais si on les envisage comme un tout, elles révèlent et communiquent l’esprit du Carême, elles nous font voir et expérimenter cette radieuse tristesse qui est le véritable message et la grâce du Carême. On peut dire sans exagération que les Pères spirituels et les auteurs sacrés qui ont composé les hymnes du Triode, qui ont peu à peu agencé la structure générale des offices de Carême, et qui ont doté la Liturgie des Présanctifiés de cette remarquable beauté qui lui est propre, avaient une singulière compréhension de l’âme humaine. Ils connaissaient vraiment l’art du repentir, et chaque année, pendant le Carême, ils rendent cet art accessible à tous ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir.

L’impression générale des offices, ai-je dit, est celle d’une « radieuse tristesse ». Quelqu’un qui, même avec une connaissance réduite de la vie liturgique, entrerait à l’église durant un des offices de Carême, comprendrait presque tout de suite, j’en suis sûr, cette expression assez paradoxale. D’une part, une sorte de calme tristesse imprègne l’office, les vêtements sont de couleur sombre, les offices sont plus longs et plus monotones qu’à l’ordinaire ; il n’y a presque pas de mouvement. Les lectures et les chants alternent, et pourtant rien ne semble « se produire ». À intervalles réguliers, le prêtre sort du sanctuaire pour lire toujours la même courte prière, et toute l’assemblée ponctue chaque demande de cette prière en se prosternant. Ainsi, durant un long moment, nous sommes là, debout, dans cette monotonie, dans cette calme tristesse. (A suivre)

Extrait de : Alexandre Schmemann,
Le Grand Carême : Ascèse et liturgie
dans l’Église orthodoxe
, Bellefontaine, 1999

 

 

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