Une action de Dieu et de l’homme
Une action de Dieu et de l’homme...
La finalité de la vie spirituelle n’est rien d’autre que la sainteté, c’est-à-dire la perfection de l’amour. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5, 48). Autrement dit : apprenez à aimer comme Dieu dont la perfection est l’Amour. Et cette sainteté n’est pas facultative. Elle est l’identité et l’accomplissement de tout être humain. Prier, c’est vivre une relation d’amour avec un Dieu Vivant, Source de vie, se laisser envahir, façonner par Sa Tendresse créatrice, Son Esprit. La prière n’est donc pas une fuite de notre condition humaine, mais un temps privilégié de notre humanisation, de notre « déification. »
L’opposition classique entre action et prière (contemplation) est un malentendu qui repose sur une mauvaise conception de l’homme et de la prière. Tout cloisonnement entre la prière et la vie quotidienne risque de défigurer Dieu et d’infantiliser l’homme en tendant deux pièges fréquents et opposés : le providentialisme et l’activisme. Deux pièges qui séparent ce que le Christ a toujours vécu sans opposition : l’abandon total à Son Père et l’engagement sans réserve au service de Ses frères. Le message de l’évangile est cohérence et équilibre. Il refuse aussi bien le matérialisme réducteur que l’idéalisme désincarné. On ne grandit pas Dieu en abaissant l’homme. Et on ne grandit pas l’homme en abaissant Dieu ! La grandeur de l’être humain est d’être appelé par Dieu à devenir un collaborateur libre, responsable, qui prolonge Son action créatrice. Et la prière est au carrefour de cette collaboration entre Dieu et l’homme. Elle est à la fois une action de Dieu et une action de l’homme.
La prière est un acte créateur permanent. Jésus dit : « Mon Père travaille toujours et moi aussi je travaille » (Jean 5, 17). Dieu a toujours l’initiative du dialogue. Il nous précède toujours dans la prière, même si nous avons l’impression d’avoir commencé. Prier, c’est consentir à Dieu, accueillir Son initiative, Sa vie, Son amour, Ses dons. Consentir à Son action en nous et, à travers nous, à Son action dans le monde. Dans le silence de la prière, je laisse Dieu agir, me parler, me façonner, à la mesure de Son amour. Prier, c’est se laisser aimer, pour pouvoir à notre tour créer en aimant comme Dieu. La prière est donc une action aussi vitale pour la croissance de l’homme nouveau que celle de manger et de boire. La prière engage le devenir harmonieux de l’homme et, à travers lui, celui de toute l’humanité.
La prière n’est jamais un acte passif. Si Dieu a l’initiative, il ne peut rien faire sans le consentement de l’homme. C’est pourquoi se rendre disponible à l’Esprit dans la prière est une action décisive et importante pour la fécondité de notre vie. Dans le silence de la prière, je convertis ma manière d’agir, je réoriente mes activités quotidiennes, ma liberté, selon le dessein bienveillant de Dieu comme le dit saint Paul. Dans le silence de la prière, je resitue ma vie au sein de l’histoire du salut, le dynamisme de l’espérance chrétienne...
Ni le Christ ni les saints n’ont opposé action et contemplation, ce double mouvement de l’amour. De nombreux priants ont été des génies de l’action, des créateurs, car l’amour rend toujours inventifs. Dieu n’est pas une Présence qui n’agirait qu’à coups de miracles et dispenserait l’être humain de prendre ses responsabilités. Prier pour la paix ou la justice dans
le monde n’est pas attendre passivement que Dieu, d’un coup de baguette magique, agisse à notre place mais c’est s’ouvrir à la paix et à la justice du Christ afin que nous y engagions notre intelligence, notre coeur, notre temps et nos forces, soutenues par Sa force divine.
C’est par nos actes concrets, comme ceux du Christ incarné, que les hommes peuvent entrevoir la providence de Dieu dont nous devons être les relais attentifs. C’est vrai que la prière est un acte gratuit mais rien n’est plus gratuit, plus agissant et plus contagieux que l‘Amour. C’est cet Amour, énergie de l’Esprit, accueilli dans la prière et incarné dans nos actes, qui peut changer la face du monde... Dieu agit sans cesse mais, par respect pour notre liberté, le lieu privilégié où Il aime créer, parler, agir, est notre conscience éveillée, notre coeur disponible. Et Son silence apparent est peut-être une manière de nous laisser une marge de manoeuvre pour creuser nos désirs et purifier nos actions. Nous verrons que, si notre prière ne change pas, apparemment, les évènements du monde, elle change toujours l’être humain qui prie et la manière dont il vit ces évènements. Nous touchons ici au coeur du débat fondamental de notre monde moderne. Finalement qui dirige l’histoire ? L’être humain livré à ses seules forces, avec son intelligence et ses techniques, ou Dieu ? Pour le croyant, l’histoire du salut est à la fois un don gratuit de Dieu et une responsabilité de l’être humain : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15, 5) nous dit Jésus ; mais ajoute saint Paul : « Je peux tout en Celui qui me fortifie » (Philippiens 4, 13).
C’est dans le silence de la prière que ces deux vérités paradoxales s’harmonisent. La prière est le grand rendez-vous où Dieu risque Son Amour et où l’homme risque sa liberté. La prière est action de Dieu et action de l’homme. C’est pourquoi il est nécessaire que nous sachions prendre du recul par rapport à nos engagements humains pour vérifier leur qualité et leur finalité Comment discerner en nous l’emprise subtile du pouvoir, de la vanité sans écouter l’Esprit de Dieu dans le silence de la prière ? La prière est une action essentielle et vitale pour enraciner notre existence quotidienne dans le Coeur de Dieu...
« Sous la discrète mouvance de l’Esprit » de Michel Hubaut, Cerf, p. 29-33
(Avec l'aimable autorisation de Mgr Martin)