Les mots qui dérangent - 2. La Justice

Publié le par Paroisse Lillois

Le thème des enseignements de notre journée d'entrée dans le carême était cette année: Les mots qui dérangent.  4 mots ont ainsi été présentés lors de cette journée:Le péché, La justice, l'ascèse, Le péché originel (le péché ancestral)

Aujourd'hui nous allons aborder le deuxième: LA JUSTICE

 

Dans notre parcours de vie nous avons reçu une éducation morale de nos parents,  de l’école et peut être avons-nous reçu aussi une éducation religieuse ou athée. Nous avons rencontré des personnes, assisté à des événements, entendu ou lu des récits qui ont pu nous blesser psychiquement et même spirituellement. Nous nous sommes construits des défenses pour ne pas trop souffrir. Parmi ces défenses il y a le rejet ‘des mots qui dérangent’, car ils sont liés justement à ces blessures. Dans cette catégorie, beaucoup de mots du langage religieux sont chargés de connotations blessantes porter par des siècles d’utilisations culpabilisantes que nous préférons ne plus les entendre.

 Nous fermons nos oreilles et pensons à autre chose ou même nous évitons tout lieu ou toute personne qui emploie ces mots et ce vocabulaire.

Parfois ces mots ont été aussi déformés, mal expliqués, mal interprétés parce que l’état de connaissance du moment, les mœurs ou la situation politique de l’époque faisaient que nos ancêtres les ont définis comme ils pouvaient.

Parfois aussi les traductions  ont complètement déformé le sens originel. Et aujourd’hui, nous ne voulons plus (c’est le cas de le dire) en entendre parler.

Alors nous allons utiliser des synonymes ou des expressions qui atténuent ou éliminent petit à petit le mal être que le mot original générait. Ce faisant nous perdons aussi une partie du sens et à la fin plus personne ne sait exactement de quoi l’on parle.

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LA JUSTICE

         Un deuxième mot qui dérange, c’est le mot justice

Nous entendons souvent parler de la justice de Dieu, des justes, d’être juste, de justesse. Qu’y-a-t’ il derrière ces mots ?

 

         La justice pour l’homme d’aujourd’hui correspond souvent à une réparation face à ce qui est ressenti comme une injustice ou une mauvaise application d’une loi ou d’un règlement. Dans la justice, il y a souvent l’un qui gagne son procès, son appel lors d’un jugement, et l’autre qui le perd.

         La justice sous-tend souvent une  notion de déséquilibre à corriger, de culpabilité et de réparation pour le préjudice commis. L’institutionnalisation de l’Eglise au cours des siècles a conduit à regarder la Bible et les Evangiles avec un œil juridique. Dieu a été présenté comme le juge suprême qui avait sa propre justice qui n’était souvent qu’une projection de la justice humaine. 

         Plus spécialement, dans l’A.T., l’homme apparait comme un être immature, guerrier, inconstant et une justice violente semble être appliquée par Dieu pour le remettre dans le droit chemin. 

 

        La loi de Moïse avait des préceptes, des règles que les rois et les grands prêtres ont détournés de leur finalité première pour asseoir leur autorité. Le Christ leur fera d’ailleurs souvent ce reproche.

        Lorsque les pharisiens, les docteurs de la loi interrogent le Christ pour lui demander quel est le plus grand commandement de la loi, Jésus leur répond: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C'est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.» et Il ajoute, (et ceci est le plus important pour comprendre ce qu’Il entend par la justice.)  «De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes (Mt 22,37 à 40)»

 

       Cela signifie que la finalité de la loi, le principe même de l’existence de cette loi, c’est l’Amour. L’Amour, non nos amours humaines qui ressemblent souvent à un troc mais l’Amour Agapè, l'Amour divin, inconditionnel, désintéressé. Ce n’est pas l'amour physique,  ou l'amour familial  ou  l’amitié, le lien social. Seul Dieu possède cette qualité d’Amour divin. Mais par la grâce de l’Esprit-Saint, Il veut en faire bénéficier l’homme. L’amour de Dieu n’est pas un sentiment mais une qualité de l’Etre. Il n’y a donc pas de notion de loi enfreinte et donc de justice à appliquer au sens humain où nous l’entendons.

 

        Mais pour atteindre ce niveau d’Amour-Agapé, il nous faut apprendre, être instruit par Celui qui le connait, qui en est l’Essence même.

 

        La loi de Moïse avait été donnée par Dieu comme un recueil d’instructions pour orienter l’homme vers sa finalité première, devenir un être d’amour, ressemblant à Dieu, pour lui apprendre à aimer véritablement. St Paul dit dans son épitre aux Galates (Ga3, 24): «Ainsi, la Torah a été notre pédagogue vers le Messie, pour que, par l’adhérence (la foi dans les paroles de Dieu), nous soyons justifiés.»  ‘Etre Justifié’, c’est être mis au nombre des justes, c’est-à-dire rendus semblables, conformes à notre modèle, en accord avec notre modèle.

       La loi est ainsi un ensemble de balises, de limites à ne pas dépasser pour aider l’homme à sortir de son animalité, son mode de fonctionnement archaïque et instinctif.

       La loi est là pour nous faire passer d’une vie sous l’emprise de nos passions à l’état de liberté des enfants de Dieu. La loi n’est pas là pour nous condamner mais pour nous libérer.

 

       Dieu ne donne pas des ordres, mais des conseils pour atteindre cet objectif. Ces conseils nous sommes libres de les suivre ou non. La liberté, c’est la première forme de l’Amour divin. Le Christ n’est pas venu supprimer la loi mais la vivre, la faire comprendre dans sa dimension première qui est l’amour.

Comme dit le prêtre dans la bénédiction des fidèles avant la communion : «Que le Christ notre Dieu, l’Ami de l’homme,  qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive, vous pardonne tous les péchés...»

         Le but de Dieu n’est pas de nous punir et de nous ‘faire payer’, mais nous amener à la vie éternelle avec Lui.

Et pourtant on parle de la justice de Dieu!

 

          Ce que l’on appelle la justice de Dieu a souvent été interprétée au fil des siècles comme une punition de Dieu parce que nous avons ‘péché’ (avec tous le sens moral que l’on avait attaché au mot péché). Au Moyen-Âge, on faisait appel à la justice de Dieu pour voir si quelqu’un était coupable. On Lui faisait passer un test, une épreuve tellement difficile que l’issue était souvent connue d’avance. En fait, le jugement était déjà posé et c’était surtout une façon de se dédouaner de la volonté de domination sur l’autre. En mettant le jugement sur le dos de Dieu, on ne se mouillait pas. Nous avons souvent projeté sur Dieu, la justice humaine que nous aimerions voir appliquée. Nous voyons des situations injustes dans le monde et nous aimerions que cela change, que les ‘méchants’ soient punis. Nous nous sentons impuissants mais un esprit de vengeance ou parfois d’indifférence nous habite, et nous le projetons sur Dieu en espérant que Lui fasse le travail à notre place.

         La justice de Dieu ou la colère de Dieu c’est ce que les philosophes appellent la justice immanente. Il y a des conséquences à nos actes, c’est la loi du Karma, la loi de la cause et de l’effet. Elle est universelle et personne n’y échappe même si on a l’impression que certains semblent passer à travers et échapper à cette loi.

         Mais Dieu n’est pas là pour appliquer la justice des hommes. En franchissant les limites, les lois ontologiques, les lois de vie, nous nous exposons à des conséquences qui peuvent être dramatiques. La justice, dite ‘de Dieu’, est la conséquence du mauvais usage de la liberté que Dieu nous laisse. Mais la conséquence  n’est pas voulue par Dieu.

        Dieu exerce sa justice dans l’amour et la miséricorde.

        L’épisode de la femme adultère est exemplatif de cette façon qu’a le Christ d’exercer la justice. Les scribes et les pharisiens amènent à Jésus une femme prise en flagrant délit d’adultère en disant: «Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Toi donc qu’en dis-tu? (Jn8, 3-5)» Les pharisiens sont dans la lettre de la loi : «La loi dit que… » et donc la punition suit, et ici ce sera la mort de la femme par lapidation. Le Christ va montrer sa vision de la justice qui est une vision de Vie. Il ne se fait pas l’avocat de la femme en essayant de trouver des arguments pour expliquer d’une manière ou d’une autre son comportement mais il invite d’abord chacun à se poser la question. Où ais-je moi été adultère, où ais-je trompé l’amour que Dieu a pour moi? Et ensuite il dit à la femme: «Je ne te condamne pas non plus; va et ne pèche plus.»  Par ces paroles, Il dit à la femme: « réoriente ton désir d’amour vers Celui qui est l’Amour, ne te trompe plus d’époux. »

       Dieu exerce Sa justice par Sa miséricorde et dans Son Amour, non par rigidité, faiblesse, naïveté ou sentimentalisme. Il résume Sa vision dans l’Evangile de Matthieu: «Vous avez appris qu'il a été dit: œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, Je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre. (Mt 5,38-39)» et il n’est pas dit: ‘l’autre joue’ comme il a souvent été ajouté. ‘L’autre’, c’est une autre approche basée sur l’amour. Il recadre l’interprétation erronée de la loi de Moïse qui d’un enseignement, d’un ensemble de balises pour conduire à la vie avec Dieu, avait été transformée en une loi de vengeance, une loi  mortifère.  Sa Justice est de sortir de ce cycle de vengeance et de violence pour entrer dans le cercle vertueux de la miséricorde et de l’Amour.

        Dans un autre épisode, Il montre encore sa conception de la justice. En Luc 9,52-56 : «Il envoya devant lui des messagers, qui se mirent en route et entrèrent dans un bourg des Samaritains, pour lui préparer un logement. Mais on ne le reçut pas, parce qu'il se dirigeait sur Jérusalem. Les disciples Jacques et Jean, voyant cela, dirent: Seigneur, veux-tu que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume? Jésus se tourna vers eux, et les réprimanda, disant: Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés. Car le Fils de l'homme est venu, non pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver. »

       Ou encore, alors qu’Il vient de guérir un homme un jour de sabbat, Il reprend les pharisiens qui sont choqués de ce geste qui semble en désaccord avec la loi : «Ne jugez pas selon l'apparence, mais jugez selon la justice. (Jn7.24) » Ce qui veut dire : ‘posez vos jugements à travers le prisme de la miséricorde et de l’Amour.’

        Le Christ sera parfois très dur dans ses paroles pour faire comprendre cela. «Mais malheur à vous, pharisiens! Parce que vous payez la dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les herbes, et que vous négligez la justice et l'amour de Dieu:(Lc 11.42) »

            Dans la parabole du fils prodigue, le Christ montrera aussi la conception de la justice du Père vis-à-vis du fils cadet et du fils ainé.

        Au fils cadet qui revient après avoir dilapidé tous ses biens, Il ne fait pas de reproche. La seule justice qu’Il applique c’est la miséricorde et la compassion « son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa. (Lc15, 20) » La justice humaine aurait demandé réparation, même partielle.

        Le fils ainé exprime d’ailleurs ce qu’il considère comme une injustice: «quand ton fils est revenu, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c'est pour lui que tu as tué le veau gras! (Lc15, 30) » Et le Père expliquera son attitude face aux serviteurs et au fils ainé: « car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. (Lc 15,24)»et  «parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie (Lc15, 32

        Le Christ explique pourquoi Il est venu sur la terre : «Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez, et apprenez ce que signifie: Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices. Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. (Mt9,12-13)» 

        Les justes comme je vous ai dit sont ceux qui agissent en conformité avec la loi d’amour et de miséricorde, ressemblant à ce modèle d’amour et de miséricorde qu’est le Christ.

        Mais devenir juste n’est pas quelque chose d’inné à l’homme. Cela demande d’abord un élan, un désir, une envie, une soif de Justice.

 

        La 4ème béatitude dit: «Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés! (Mt 5.6)» Par ceux qui ont faim et soif de justice, le Christ veut dire aussi ceux qui ont faim et soif de compassion, faim et soif de miséricorde, faim et soif d’amour, car c’est comme ça que Dieu exprime sa justice. Ils seront rassasiés, c’est-à-dire qu’ils recevront la grâce divine qui leur permet de vivre dans la compassion, la miséricorde et l’amour comme Dieu.

        Sans le désir de l’homme, le désir de Dieu d’ouvrir à l’homme le chemin de déification ne pourra s’accomplir.  La mission du Christ c’est de venir nous montrer le chemin de déification de l’homme. Mais cette œuvre ne sera possible que si l’homme dit oui, s’il accepte d’orienter le désir d’absolu déposé en lui vers la Source du désir.

        Devenir juste c’est accueillir et laisser le Christ s’incarner en nous. Pour l’accueillir, il nous faudra renoncer à notre volonté humaine pour laisser s’épanouir la volonté divine. Chaque fois que nous  nous auto-justifions, nous substituons notre propre ‘justice’ à la justice divine. Et ce que nous appelons ‘justice’ n’est parfois que désir inconscient de vengeance ou d’avoir raison guidée par les énergies animales désorientées qui nous habitent.

        Le Christ a été crucifié par l’injustice des hommes, par le manque d’amour. Le sommet de la justice divine, c’est la croix. Et jusqu’au bout Il est resté fidèle à sa mission, Il donne Sa vie pour sortir l’humanité de la mort spirituelle.

        «Ma vie, on ne me la prend pas c’est moi qui la donne. (Jn10,18) ». C’est le plus bel exemple d’amour qu’Il pouvait donner en allant jusqu’à l’acceptation de la plus ignoble des injustices humaines.

        Par sa Résurrection Il nous montre aussi que la justice de Dieu triomphe de tout, que l’Amour est vainqueur de la mort, que la Vie éternelle est possible maintenant.

 

        Devenir juste, capable de justesse comme Dieu, conforme au Christ, va nous demander un travail continu d'ajustement à l’image de Dieu en nous. C'est un ajustement de notre propre vie, car nous ne sommes jamais totalement achevés, c'est un ajustement aux autres humains dans l’amour, c'est un ajustement à la Création, à la terre, aux animaux, dans le respect de tout ce qui vit. Nous devons garder le souci de nous ajuster en permanence, tout en sachant que c'est toujours la grâce qui agit en nous pour cet ajustement. Comme écrit Jean-Yves Leloup : ‘Il n'y a pas d'attitude juste, il n'y a que des attitudes qui s'ajustent.’

           

Je voudrais terminer en citant St Païssos, moine du XXème siècle de la Sainte Montagne (Mont Athos)

 

Quand on a demandé à St Païssios ce qui faisait la différence entre un saint et le reste d'entre nous il a répondu que le saint pratiquait la justice divine à la place de la justice humaine.

 

 Voici comment l'Ancien décrit la justice divine

 

« Supposons que deux hommes sont assis à table pour manger. En face d'eux, il y a un plat avec dix pêches. Si l'un d'eux mange goulûment sept pêches en n’en laissant que trois pour son ami, il est injuste envers lui, cela c’est une injustice. Au lieu de cela, s’il dit: «Eh bien, nous sommes deux et il y a dix pêches. Donc, chacun de nous a le droit de manger cinq pêches. » S’il mange les cinq pêches et laisse les cinq autres à son ami, alors il applique la justice humaine. Voilà pourquoi, souvent, nous allons au tribunal pour trouver la justice humaine. 

 

Cependant, s’il comprend que son ami aime énormément les pêches, il peut prétendre qu'il n’en est pas très friand, n’en manger qu’une seule, puis lui dire: «Je t’en prie, mange le reste des pêches, car je ne les aime pas tellement. En outre je souffre de maux d'estomac et je préfère ne pas en manger davantage.» Cette personne pratique la justice divine; il préfère être injuste envers lui-même selon les critères humains et être récompensé pour son sacrifice par la grâce de Dieu, qu’il recevra abondamment. 

 

Le vrai chrétien ne doit jamais condamner, ou porter des accusations contre ses semblables, même si quelqu'un lui prend ses vêtements par la force. Il y a une différence entre ceux qui croient au Christ et ceux qui n’y croient pas. Les chrétiens suivent la loi de la justice divine, tandis que ceux qui n’ont pas la foi appliquent la loi de la justice humaine. La justice divine suit une norme plus élevée que la justice humaine. N’est-il pas vrai que la plupart d'entre nous sont si imprégnés de la notion de la justice humaine qu’ils sont convaincus que ce qui nous est demandé est l'égalité pour tous ? Souvent même, cela est difficile. 

 

La justice divine est bien plus. Elle implique la charité et la compassion fondées sur un amour des autres. Elle nécessite une capacité à sacrifier nos propres désirs pour le bénéfice des autres.»

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texte de l'exposé.

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