Prier avec le corps (Partie 3)
Voici la 3ème partie de l'article envoyé par Mgr Martin et qu'il a publié dans la Lettre de la fraternité sainte Photine et saint Jean-Cassien. Le sujet me semble bien convenir à cette période de Carême qui s'approche.
Bonne lecture.
Prier avec le corps – une méthode corporelle (suite 3)
Il faut attendre plusieurs siècles avant de trouver quelque chose d’aussi explicite dans les
sources grecques. Les descriptions détaillées les plus anciennes d’une technique physique se
trouvent dans deux textes, datant approximativement de la fin du XIIIème siècle.
Ainsi Nicéphore l’Hésychaste conclut son court opuscule Sur la sobriété, la vigilance et la
garde du coeur en suggérant une méthode corporelle pour aider le débutant sur la voie de
« l’attention ». Selon saint Grégoire Palamas, Nicéphore était venu d’Italie. Convaincu que
l’Occident était tombé dans la « cacodoxie », il avait voyagé dans l’empire byzantin et rejoint
l’Eglise Orthodoxe. Devenu moine au mont Athos où il vivait dans le silence et l’hésychia, il
mourut probablement avant 1300. Palamas mentionne le traité Sur la sobriété en disant :
« Comme il voyait que beaucoup de néophytes ne pouvaient surmonter l’instabilité de leur
esprit, il leur proposa un moyen d’en réprimer les vagabondages et l’imagination. »
Nicéphore est parfois appelé l’inventeur de cette méthode corporelle. Il s’est peut-être
simplement borné à fournir la première description écrite d’une technique depuis longtemps
traditionnelle au mont Athos et qui s’était transmise oralement, de maître à disciple.
Une technique largement similaire est aussi évoquée dans un traité parfois attribué à
Nicéphore, parfois à saint Syméon le Nouveau Théologien (959-1022), la Méthode de la
sainte oraison et attention, également intitulée Sur les trois méthodes de la prière.
La technique corporelle de la prière est mentionnée ensuite, peu après Nicéphore, par un
écrivain influent, saint Grégoire le Sinaïte (+1346) qui a vécu au mont Athos.
C’est vers 1335 que, de manière très inattendue, la méthode corporelle fut violemment
attaquée. Comme toute la tradition hésychaste de la prière, elle fut contestée par un grec
savant d’Italie du Sud, Barlaam le Calabrais, venu à Constantinople vers 1330. Après avoir
attaqué saint Grégoire Palamas qui vivait, à l’époque, reclus au mont Athos, sur la procession
du Saint-Esprit, il élargit le champ du débat en remettant en question les hésychastes sur deux
points : leur prétention selon laquelle il était possible de voir la lumière divine incréée du
Thabor, et leur usage de la méthode psychosomatique pendant la prière. Comme il l’écrit : « J’ai
été initié par eux à certaines monstruosités et doctrines absurdes.... Ils m’ont livré leurs
enseignements sur des séparations merveilleuses et des réunions de l’esprit et de l’âme, sur les
commerces qu’ont les démons avec cette dernière, sur les différences entre les lumières rousses
et blanches, sur les entrées et des sorties intelligibles, qui se produisent par les narines avec la
respiration, sur les palpitations qui se produisent autour du nombril, enfin sur l’union de Notre
Seigneur avec l’âme qui se produit à l’intérieur du nombril d’une façon sensible en pleine
certitude du coeur. » Pour les ridiculiser, Barlaam traita les hésychastes « d’omphalopsyques »,
personnes situant l’âme dans le nombril.
Palamas contra la polémique de Barlaam dans son imposant traité Triades pour la défense des
saints hésychastes. En réalité, la préoccupation principale de Palamas n’y est pas la méthode
corporelle en tant que telle mais des questions doctrinales bien plus fondamentales : le
caractère incréé de la lumière divine et la distinction entre l’essence de Dieu et ses énergies
incréées. Même s’il ne donne pas une importance centrale à la méthode corporelle, Palamas la considère comme théologiquement défendable : elle est fondée sur une saine anthropologie biblique. Enfin, un dernier texte du XIVème siècle parle d’une manière plus détaillée encore de la méthode corporelle : la Méthode et règle exacte concernant ceux qui choisissent de vivre
dans le silence et la solitude monastique, des saints Calliste et Ignace Xanthopoulos.
Que trouvons-nous dans ces différents témoignages ?
La technique psychosomatique qu’ils décrivent contient trois points principaux : l’adoption d’une attitude corporelle précise, le contrôle du rythme de la respiration, et une invitation à explorer son être intérieur afin de découvrir le lieu du coeur. (A suivre)
« Tout ce qui vit est saint » de Kallistos Ware, éditions du Cerf, p. 136-140