Prier avec le corps (Partie 2)

Publié le par Paroisse Lillois

 

Voici la suite de l'article envoyé par Mgr Martin et qu'il a publié dans la Lettre de la fraternité sainte Photine et saint Jean-Cassien. Le sujet me semble bien convenir à cette période de Carême qui s'approche.

Bonne lecture.

      Prier avec le corps – une méthode corporelle (suite)
La prière de Jésus en tant que telle – l’invocation répétée du saint Nom – est bien plus ancienne que la technique physique conçue pour l’accompagner. Dès le IVème siècle, les moines égyptiens avaient coutume d’utiliser des « oraisons jaculatoires » - invocations courtes et ferventes fréquemment répétées – comme aide pour garder le continuel « souvenir de Dieu » Cette pratique fut connue sous le nom de « prière monologique », la prière d’un seul logos, un seul mot ou une seule phrase. Si le nom de Jésus apparaît parfois dans ces oraisons jaculatoires des Pères du désert d’Egypte, il n’est pas particulièrement mis en évidence.
Les vrais débuts d’une spiritualité distinctive du saint nom n’apparaissent qu’avec saint Diadoque de Photicée (seconde moitié du Vème siècle) qui parle régulièrement du « souvenir » ou de « l’invocation » de Jésus. Cette invocation élimine les distractions, vide l’esprit des images et nous aide à atteindre un silence intérieur. Un demi-siècle après Diadoque, les deux anciens de Gaza, saint Barsanuphe et saint Jean (début du VIème siècle) recommandent diverses prières courtes qui incluent le nom de Jésus. Vers la même époque ou un peu plus tard, la Vie d’Abba Philémon contient pour la première fois ce qui a été ensuite considéré comme la formule courante de la prière de Jésus : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ». Le mot « pécheur », ajouté à la fin, n’apparaît pas avant le XIVème siècle.
Aucun de ces premiers écrivains ne suggère l’emploi d’une quelconque technique physique. Toutefois, un peu plus tard, on trouve des allusions possibles à une coordination entre le rythme de la respiration et l’invocation du saint nom chez trois auteurs du Sinaï : saint Jean Climaque (VIIème siècle), saint Hésychius de Batos (VIII-IXème siècles) et saint Philotée (IX-Xème siècles). « Que le souvenir de Jésus soit uni à votre respiration » dit Climaque. Chez Hésychius, la formulation est un peu plus spécifique : « Que la prière de Jésus s’attache à votre respiration. » Philotée dit simplement : « Nous devons toujours respirer Dieu. »
Quelle importance attacher à des affirmations de ce genre ? Peut-être les trois se rapportent-elles à une méthode spécifique pour réguler le rythme de la respiration et la faire coïncider avec les paroles de la prière. Leur caractère vague et l’absence de directives explicites peuvent alors être délibérés. Ces auteurs ont peut-être estimé – comme certainement de nombreux maîtres orthodoxes contemporains – que les instructions sur de telles techniques se transmettent mieux oralement que lorsqu’elles sont couchées sur le papier. Un guide spirituel expérimenté, en contact direct avec ses disciples, peut les mettre en garde contre les dangers qui pourraient ne pas apparaître aux lecteurs d’un livre.
D’un autre côté, les paroles de Climaque, Hésychius et Philotée peuvent aussi bien n’être que métaphoriques, à l’instar de cette parole de saint Grégoire de Nazianze (329-389), lorsqu’il affirme qu’il nous faut nous souvenir de Dieu plus souvent que nous respirons ; elles peuvent alors signifier tout simplement que la prière devrait aussi constante et spontanée que l’acte de respirer, comme une partie intégrante de notre existence instinctive. Dans ce cas, les références à notre respiration chez les auteurs sinaïtes seraient juste une manière de réaffirmer avec éclat le précepte de saint Paul : « Priez sans cesse » (1 Thessaloniciens 5, 17).
Nous sommes en terrain plus ferme lorsque nous nous tournons vers l’Egypte et examinons le cycle copte de Macaire. Le matériau est difficile à dater avec exactitude, mais il semble provenir du VIIème ou du VIIIème siècle. Nous lisons : « Qu’il est aisé de dire avec chaque respiration : ‘’ Mon Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ! Je te bénis, mon Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi !’’ » A chacune de nos expirations et inspirations, l’invocation de Jésus sort ainsi de nos lèvres et y revient de nouveau : « Soyez attentifs au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, avec un coeur contrit ; faites-le couler de vos lèvres et ramenez-le vers vous. »
Rien de cela n’est très précis, mais cela semble impliquer plus qu’une simple métaphore. Un lien manifeste est exprimé entre notre respiration et l’invocation de Jésus. Ce qui allait devenir plus tard un point central dans la technique physique des hésychastes est clairement affirmé : Jésus doit être invoqué à chaque respiration. (A suivre)
« Tout ce qui vit est saint » de Kallistos Ware, éditions du Cerf, p. 134-136

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