Prier avec le corps (partie 1)

Publié le par Paroisse Lillois

Je vous transmets un article envoyé par Mgr Martin et qu'il a publié dans la Lettre de la fraternité sainte Photine et saint Jean-Cassien. Le sujet me semble bien convenir à cette période de Carême qui s'approche.

Bonne lecture.

                                   Prier avec le corps.
« Glorifiez Dieu dans vos corps » dit l’apôtre Paul (1 Co 6, 9). Mais dans la pratique, comment cela doit-il se faire ? Comment pouvons-nous faire participer activement notre corporéité humaine au travail de la prière ? C’est une question à laquelle nous, chrétiens, devons particulièrement réfléchir aujourd’hui. Car nous vivons à une époque où, en philosophie comme en physique ou en psychologie, il est de moins en moins utile de poser une dichotomie entre l’esprit et la matière, entre l’âme et le corps. Cette déclaration de C. G. Jung est caractéristique : « l’esprit est le corps vivant vu de l’intérieur, et le corps est la manifestation extérieure de l’esprit vivant, les deux étant réellement un. »
Si ceux qui traitent de la spiritualité chrétienne continuent à prétendre qu’il existe un contraste très marqué entre le corps et l’âme – comme c’était fréquemment le cas par le passé – leurs paroles vont sembler de moins en moins pertinentes à leurs contemporains laïcs.
En réalité, une division de type platonicien entre le corps et l’âme n’a pas sa place dans la tradition chrétienne. La Bible considère la personne humaine en termes holistiques, comme un tout, et, malgré la forte influence du Platonisme, ce point de vue unitaire a été maintes fois répété dans la chrétienté grecque. Ainsi ce texte attribué à Justin le martyr (vers 165) : « L’âme par elle-même constitue-t-elle la personne ? Non, c’est simplement l’âme de la personne. Appelons-nous le corps, la personne ? Non, nous l’appelons le corps de la personne. Ainsi, la personne n’est aucune de ces deux choses en soi, mais elle est le tout formé d’elles deux. »
Le théologie grec contemporain Christos Yannaras souligne, en des termes similaires, que le corps doit être considéré non pas comme une « partie » ou une « composante » de la personne, mais comme le « mode d’existence » total de la personne, comme la manifestation au monde extérieur des énergies de notre nature humaine dans son intégralité. Je ne suis pas un « esprit dans une machine », mais une unité indivise. Mon corps n’est pas quelque chose que j’ai, mais quelque chose que je suis.
Il n’est pas suffisant toutefois d’affirmer cette anthropologie holistique en théorie. Nous devons lui donner son expression concrète et pratique dans notre théologie sacramentelle – en particulier les sacrements de l’eucharistie et du mariage – ainsi que dans notre théologie de la prière. Trop souvent, dans la doctrine chrétienne, cela n’a pas été fait. Dans une définition fameuse, Evagre le Pontique (+399) décrit la prière comme « la communion de l’intellect – le noùs – avec Dieu. » : « Elle est l’intellection la plus haute de l’intellect, l’activité qui sied à la dignité de l’intellect... Approchez-vous de l’Immatériel d’une manière non matérielle. »
Cela nous laisse songeurs : quelle est alors la place du corps dans l’entreprise de la prière ? En fait, Evagre est moins antiphysique que ces paroles pourraient le suggérer, car il attribue un rôle important dans la prière à des expériences corporelles comme le don des larmes. Mais la définition qu’il propose donne assurément l’impression malheureuse qu’il marginalise le corps.
Dans l’histoire de la spiritualité chrétienne, l’une des tentatives les plus complètes d’attribuer un rôle positif et dynamique au corps dans la prière a été faite par les hésychastes du XIVe siècle. Comme accompagnement à la récitation de la prière de Jésus, ils proposaient une technique physique qui a des parallèles évidents avec le Yoga et certaines pratiques soufies.
Cette méthode psychosomatique a été souvent sévèrement critiquée...
La méthode du cœur des hésychastes est-elle authentiquement chrétienne, une vraie manière d’accomplir le commandement de « glorifier Dieu dans son corps », ou est-elle confuse et même potentiellement nuisible ? (A suivre...)
« Tout ce qui vit est saint » de Kallistos Ware, éditions du Cerf, p. 131-134

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