Prière et silence.

Publié le par Paroisse Lillois

Prière et silence.

« Lorsque vous priez, a-t-il été dit avec sagesse par un écrivain orthodoxe de Finlande, votre ‘’moi’’ doit se taire... Taisez-vous, et laissez la prière parler. » Réaliser le silence, c’est de tout, le plus dur et le plus décisif dans l’art de la prière. Le silence n’est pas purement négatif – une pause entre les mots, un arrêt temporaire du discours – mais, bien compris, il est hautement positif : une attitude d’éveil attentif, de vigilance, et par-dessus tout, l’écoute. L’hésychaste, l’être humain qui a atteint l’hésychia, paix et silence intérieurs, est par excellence celui qui écoute. Il écoute la voix de la prière de son propre cœur, et il comprend que cette voix n’est pas la sienne mais celle d’un Autre lui parlant au-dedans. La relation entre prier et garder le silence deviendra plus évidente si nous considérons quatre courtes définitions. La première est tirée du Concise Oxford Dictionary qui décrit la prière comme « une solennelle requête adressée à Dieu..., une formule utilisée pour prier. » La prière est ici envisagée comme quelque chose d’exprimé avec des mots et, d’une manière plus spécifique, comme un acte de demande à Dieu d’accorder quelque bienfait. Nous sommes encore au degré de la prière « extérieure » plutôt qu’au degré de la prière intérieure. Peu d’entre nous peuvent se sentir satisfaits d’une telle définition. Notre deuxième définition, celle d’un starets russe du XIXe siècle est bien moins extérieure. « Dans la prière, dit l’évêque Théophane le Reclus, la chose principale est de se tenir devant Dieu avec l’intellect dans le cœur, et de continuer à s’y tenir sans cesse jour et nuit, jusqu’à la fin de sa vie. » Prier, défini de cette manière, n’est plus simplement demander des choses et peut assurément se faire sans aucun recours aux mots. Prier, c’est se « tenir devant Dieu », entrer dans une relation immédiate et personnelle avec Lui ; c’est connaître à chaque niveau de notre être, depuis l’instinctif jusqu’à l’intellectuel, de l’inconscient à la fine pointe de la conscience, que nous sommes en Dieu et Lui en nous. Pour assurer et approfondir nos relations personnelles avec les autres êtres humains, il n’est pas nécessaire d’être constamment en train de présenter des requêtes et d’utiliser des mots ; plus nous arrivons à nous connaître et à nous aimer les uns les autres, et moins nous avons besoin d’exprimer verbalement notre attitude réciproque. Il en est de même dans notre relation personnelle à Dieu. Dans ces deux premières définitions, l’accent est mis principalement sur ce que fait l’être humain plus que sur ce que fait Dieu. Mais dans la relation personnelle de prière, c’est le partenaire divin et non l’humain qui prend l’initiative et dont l’action est fondamentale. Ceci apparaît dans notre troisième définition empruntée à saint Grégoire le Sinaïte (+1346). Dans un texte minutieux où il entasse les épithètes les unes sur les autres dans son effort pour décrire la vraie réalité de la prière intérieure, il termine tout à coup avec une simplicité inattendue : « Pourquoi tant parler ? La prière, c’est Dieu qui fait tout en tous. » « La prière, c’est Dieu » - ce n’est pas quelque chose dont j’ai l’initiative, mais à quoi j’ai part ; ce n’est pas essentiellement quelque chose que je fais, mais que Dieu fait en moi : telle la phrase de saint Paul : « Non pas moi mais Christ en moi » (Galates 2, 20). Le chemin de la prière intérieure est indiqué exactement dans les mots de saint Jean Baptiste au sujet du Messie : « Il faut qu’Il croisse et que moi, je diminue » (Jean 3, 30). C’est en ce sens que prier c’est être silencieux : « Taisez-vous et laissez la prière parler » - plus précisément -, laissez Dieu parler. La vraie prière intérieure, c’est arrêter de parler et écouter la voix sans mots de Dieu dans notre cœur ; c’est cesser de faire les choses tout seul et entrer dans l’action de Dieu. Au commencement de la liturgie byzantine, le diacre s’approche du prêtre et dit : « Il est temps que le Seigneur agisse. » Telle est exactement l’attitude du pratiquant en toute prière, publique ou privée. Noter quatrième définition, empruntée une fois encore à saint Grégoire le Sinaïte, indique avec plus de précision le caractère de cette action du Seigneur en nous : « La prière, dit-il, est la manifestation du baptême. » L’action du Seigneur n’est pas, naturellement, limitée aux baptisés : Dieu est présent et à l’œuvre dans tous les êtres humains, en vertu du fait que chacun(e) est créé(e) à Son image et Ressemblance. Mais cette image a été obscurcie et voilée, bien que non totalement oblitérée, par le péché de l’être humain. Elle est restaurée dans sa beauté première et sa splendeur par le sacrement du baptême, par lequel le Christ et le SaintEsprit viennent demeurer dans ce que les Pères appellent le « tréfonds et la chambre secrète de notre cœur. » La plupart d’entre nous demeurent inconscients de cette présence intérieure et de son action. La vraie prière signifie la redécouverte et la « manifestation » de cette grâce baptismale. Prier, c’est passer de l’état où la grâce est présente dans nos cœurs secrètement et inconsciemment au point de pleine perception et de connaissance consciente en expérimentant et en « sentant » l’activité de l’Esprit directement et immédiatement. Ainsi s’expriment saint Kallistos et saint Ignace Xanthopoulos (XIVe siècle) : « Le but de la vie chrétienne est de revenir à la grâce parfaite de l’Esprit Saint, Source de Vie, qui nous a été donnée au commencement dans le divin baptême. » Le but de la prière peut se résumer dans ces mots : « Deviens ce que tu es. » Deviens, consciemment et activement, ce que tu es déjà potentiellement et secrètement... Plus exactement, reviens à toi-même ; découvre-le, celui qui est déjà tien ; écoute-le, celui qui jamais ne cesse de parler en toi ; possède-le, celui qui maintenant te possède. Voici le message de Dieu à quiconque veut prier : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé. » « La Prière de Jésus dans la spiritualité orthodoxe » de Kallistos Ware dans “Le lieu du Coeur “ de Elisabeth Behr-Sigel, Cerf, p. 123-126

( Merci à Monseigneur Martin)

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