Un sceau sur ton cœur...
Le lieu propre de l’action de Dieu dans l’homme est son cœur au sens que la Bible et les Pères de l’Eglise donnent à ce terme. Il ne désignait pas pour eux l’affectivité sensible et superficielle, mais le centre intime d’où procèdent nos inclinations profondes, la source d’où jaillit notre activité volitive et intellectuelle, le centre vivant de la personne. Cette imprécision de termes est pleine de sens car elle nous situe d’emblée dans la vie concrète, elle nous met en face de la personne totale, qui est toujours plus que la somme des éléments dans lesquels nous pouvons l’analyser, en abstrait. C’est à cet homme concret que nous avons affaire ; c’est lui que Dieu cherche aussi, et il ne peut se satisfaire de moins que son cœur, tout son cœur. La tradition monastique exprime cette vérité en assignant la pureté du cœur comme le but des efforts du moine (saint Jean Cassien), ou en invitant l’être de prière à chercher le lieu du cœur, à faire descendre l’intelligence dans le cœur, c’est-à-dire restaurer dans l’homme l’unité perdue entre l’intelligence et le cœur, de faire en sorte qu’ils s’interpénètrent, tous les deux fixés en Dieu.
« Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu » (Matthieu 5, 8). Tout effort ascétique, effort qui n’est que la visibilité de l’action cachée de l’Esprit en nous, vise la purification du cœur. Cela est surtout vrai pour le solitaire, dont la lutte est en grande partie purement intérieure. Qui dit pureté du cœur dit une qualité de la vie profonde de l’homme, de sa vie de connaissance et d’amour. Dieu nous a commandé de l’aimer « de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit » (Matthieu 22, 37), et nous voulons l’aimer de cette façon totale... Mais le drame est que nous ne le pouvons pas. Nous le voulons, mais pas encore entièrement. Nous sommes si faibles, si facilement détournés du vrai Bien, de la vraie Beauté, comme des enfants si vite distraits par toutes sortes de bagatelles.
Notre cœur est corrompu ; c’est notre héritage humain ; c’est aussi le fruit de nos actes personnels. Une ascèse s’impose : un combat dur et long. Mais nous ne sommes pas seuls. Le Christ a pris sur Lui notre nature et notre triste héritage ; Il nous a rachetés et nous a communiqués l’énergie, la force de son Esprit, qui nous fait entrer dans la Vie divine, nous fait enfant de Dieu et nous donne de pouvoir vivre, dans la Lumière, en enfant du Père, d’après le modèle du Christ. Mais pas sans nous, pas sans notre libre coopération, notre réponse personnelle à son amour.
La recherche de la pureté du cœur et la coopération avec l’action de l’Esprit Saint en nous, la docilité au Maître intérieur, sont les deux côtés de la même réalité, le Christ en nous, chemin vers le Père. L’action divine précède, suscite et soutient notre action. Tout est grâce. Mais l’action de l’Esprit devient de plus en plus prédominante au fur et à mesure que l’image du Christ se dessine, qu’on approche Dieu et que le travail se montre plus délicat, plus « au-dessus » de notre manière humaine d’agir. Pour faciliter l’action de l’Esprit, Dieu nous dote d’une sensibilité à cette action, d’une réceptivité accrue, d’une facilité à suivre ses impulsions (ce que nous appelons les dons de l’Esprit) qui nous permettent d’agir au-dessus de nos possibilités selon un mode divin, car c’est la sagesse de Dieu qui la règle.
Cela implique une certaine passivité de notre part, passivité qui peut être consciemment ressentie (comme parfois dans la contemplation divine) ; elle peut ne pas être sentie clairement (cela n’a aucune relation avec l’intensité de l’action divine). Seule l’action de l’Esprit peut donner cette pureté de cœur, « cet œil dont le clair regard blesse l'Époux d’amour et dont la pureté limpide voit Dieu » (Statuts rénovés de l’ordre des Chartreux).
C’est dire l’importance d’une docilité extrême à l’action de l’Esprit Saint. Nous devons être toujours à l’écoute de la Parole de Dieu, libres de toute entrave et prêts à nous « envoler » vers le Père au premier souffle de l’Esprit. La pureté du cœur fait taire nos passions déréglées, notre égoïsme ombrageux. L’humilité naît de la vérité sur nous-mêmes, contemplés dans le miroir de la Parole de Dieu : l’humilité qui engendre non pas le désespoir mais l’espérance, qui espère tout de Dieu, qui fait naître non pas le ressentiment mais l’amour de Celui qui nous donne tout. Cette humilité nous le donne Lui-même. Elle nous donne même de recevoir ses dons, sa force, ses inspirations, une participation à sa connaissance et à son amour.
« Le chemin du vrai bonheur » par un chartreux, Presse de la Renaissance p. 15-20
Publié dans la LETTRE FRATERNITE HESYCHASTE 133 du 01 juin 2020.
Merci à Monseigneur Martin de l'Eglise Orthodoxe Française.