La prière pour le monde entier...
La prière pour le monde entier...
Poursuivons notre méditation sur la prière et l'utilité de la prière avec saint Isaac le Syrien.
Saint Isaac le Syrien fait partie de ces auteurs de l’Eglise ancienne dont la vision était universelle, et qui se souvenaient constamment du monde entier et de toute la création, de toutes les personnes avec leurs souffrances. En cela consiste le paradoxe de la vie solitaire : que l’ermite qui se retire d’auprès des hommes ne les oublie aucunement, et qu’en renonçant au monde, il ne cesse pas de prier pour lui. Isaac était épris de solitude et de silence, mais toute tentation de se refermer en soi-même, ou de s’occuper de son propre salut sans se soucier de ses frères, lui était totalement étrangère. Il possédait ce « cœur miséricordieux » dont le propre est de prendre toutes les créatures en pitié, non seulement les chrétiens, mais encore les apostats, les animaux et les démons. Tout comme la prière liturgique, sa prière personnelle s’étendait à une échelle cosmique, embrassant non seulement les proches et les étrangers, mais la totalité des hommes et de l’univers.
Pour connaître un peu mieux cette expérience exceptionnelle de prière pour l’univers, il nous faut examiner le chapitre V de la deuxième partie de son oeuvre : il contient une longue prière pour le monde entier. Celle-ci commence par une action de grâce à Dieu à cause de l’Incarnation : « Mon âme s’incline jusqu’à terre et je T’offre avec tous mes os et avec tout mon cœur le sacrifice qui Te convient, Dieu de Gloire qui habites un ineffable silence. En vue de mon renouvellement, Tu as bâti pour moi sur terre un tabernacle d’Amour où Tu te plais à Te reposer, un temple fait de chair qui a été oint avec l’huile la plus sainte du sanctuaire. Tu l’as rempli de Ta sainte Présence, de sorte que toute liturgie puisse y être célébrée, faisant connaître la liturgie en l’honneur des Personnes éternelles de Ta Trinité, et révélant au monde, créé par Toi dans Ta grâce, un mystère indicible, une puissance qui ne peut être ni ressentie ni saisie par aucun élément de Ta création qui est venu à l’existence. Les êtres angéliques sont immergés dans le silence, se tenant dans la stupeur devant la nuée obscure de ce mystère éternel, et devant le fleuve glorieux qui jaillit de cette source merveilleuse, car celle-ci est célébrée, dans les régions du silence, par toute pensée qui a été sanctifiée et rendue digne de Toi. »
Poursuivant sa prière, Isaac tourne son esprit vers la création et la chute de l’homme, en s’appliquant à lui-même cette dernière. Isaac parle de lui comme d’un enfant qui supplie Dieu de le traiter avec la sollicitude d’un père : « Seigneur, je me prosterne devant l’escabeau de tes pieds et devant ta sainte main droite qui m’a modelé et qui a fait de moi un être humain, capable de Te ressentir. Mais j’ai péché et mal agi, à la fois en moi-même et face à Toi, car j’ai abandonné la sainte conversation avec Toi pour passer mes jours en conversations avec les voluptés. Je T’en supplie, Seigneur, ne compte pas en ma défaveur les péchés de ma jeunesse, l’ignorance de ma vieillesse et la fragilité de ma nature qui m’ont vaincu et m’ont fait sombrer dans des pensées concernant des choses méprisables. Mais tourne plutôt mon coeur vers Toi, loin de la distraction trouble des voluptés ; fais habiter en moi une lumière cachée. L’action de Ta bonté prévient toujours toute velléité de la part de mon coeur à bien agir et toute disponibilité à la vertu. Jamais Tu n’as retenu ta sollicitude pour soumettre ma volonté libre à
l’épreuve, mais celle-ci m’a plutôt poursuivi, comme un père le fait pour son fils, ... car Tu sais depuis toujours que, même davantage qu’un enfant, j’ignore le but de mon voyage. »
Suivent alors les demandes pour être délivré de toute intention mauvaise et de la puissance du démon. Isaac demande ensuite à Dieu de lui accorder un vrai repentir, afin qu’il puisse voir ses péchés : « Je frappe à la porte de ta miséricorde, Seigneur ; viens au secours de mes motions dissipées, empoisonnées par de nombreuses passions et par la puissance des ténèbres. Tu peux voir mes plaies cachées au-dedans de moi : ébranle en moi la contrition, même si elle ne correspond pas au poids de mes péchés, car si je recevais pleine connaissance de leur étendue, mon âme serait consumée de douleur et d’amertume à leur sujet... Ô Nom de Jésus, clé de tous les dons, ouvre pour moi, la grande porte de Ton trésor, afin que je puisse y entrer et Te louer, d’une louange qui vient du coeur, pour les miséricordes que j’ai expérimentées de Ta part, car Tu es venu et m’as renouvelé par la perception du Monde Nouveau. »
Suivent alors certaines demandes de caractère plus personnel, qui mêlent divers sentiments et expressions de repentir avec des actions de grâces et des louanges. Isaac s’adresse ensuite à la nature humaine du Christ pour la louer, puis il passe à une prière de repentir : « Seigneur, je me tiens devant le trône de Ta Majesté, moi qui suis poussière et cendre. Des milliers et des milliers d’anges et des légions innombrables de séraphins t’offrent une liturgie spirituelle dans le secret de leur être, avec des louanges enflammées et de saintes motions, à Toi, Etre Saint, caché aux sens et à la connaissance de toute créature ; avec Ton aide, Seigneur, Tu es proche de chacun dans les moments de calamité, à temps et à contretemps ta porte est ouverte aux prières de tous. Tu ne Te détournes pas des âmes maculées par toutes sortes de péchés, mais Tu fais tout sortir de maux infinis ; Tu m’as rendu digne, Seigneur, de me prosterner devant Toi, et d’oser prononcer de mes lèvres Ton Nom très Saint, bien que je sois un vase plein de souillures... Accorde-moi, Seigneur, d’être sanctifié par Tes louanges et d’être purifié par Ton souvenir ; renouvelle ma vie par le changement de mon intellect et par des pensées bienfaisantes que Tu ébranles en moi... Fortifie en moi l’unique désir qui veut Te fixer à chaque instant, et une pensée qui ne se relâche jamais de mettre son espoir en Toi, grâce à une mort à soi-même continuelle, imposée à cause de Toi. Accorde-moi, Seigneur, une bouche qui ne Te prie pas avec des paroles que je ne ressens pas, et de durer sur cette terre dans le trésor caché de l’humilité du coeur et du repentir de l’esprit. »
Dans ses dernières demandes, Isaac mentionne ceux qui se sont fourvoyés et ceux qui ont quitté cette vie, privés de repentir et étrangers à la foi : « Je te supplie et je Te demande, Seigneur, accorde à tous ceux qui se sont fourvoyés loin de Toi, de Te connaître vraiment, de sorte que tous et chacun puissent arriver à connaître Ta Gloire. Quant à ceux qui ont quitté cette vie, sans avoir eu une vie vertueuse et sans la foi, sois leur avocat, Seigneur, à cause du corps que Tu as assumé parmi eux, afin que ce soit à partir du corps unique et unifié de ce monde que nous offrions nos louanges au Père, au Fils et au Saint-Esprit, dans le Royaume des Cieux, Source infinie de jouissances éternelles. »
« L’univers spirituel d’Isaac le Syrien » de Mgr Hilarion Alfeyev, Abbaye Bellefontaine, p. 230-234
Publié dans la LETTRE FRATERNITE HESYCHASTE 128 du 27 avril 2020.
Merci à Monseigneur Martin de l'Eglise Orthodoxe Française.