Prier avec le corps (Partie 4)

Publié le par Paroisse Lillois

Voici la 4ème partie de l'article envoyé par Mgr Martin et qu'il a publié dans la Lettre de la fraternité sainte Photine et saint Jean-Cassien. Le sujet me semble bien convenir à cette période de Carême.

Bonne lecture.

Tout d’abord, l’hésychaste doit être assis pour réciter la prière de Jésus. « Assieds-toi et recueille ton intellect » dit Nicéphore. « Assieds-toi dans une cellule tranquille, à l’écart dans un coin » dit Syméon. Saint Grégoire est plus précis : « Assieds-toi sur un siège bas d’une demi-coudée. » Le Sinaïte pense évidemment ici à un tabouret bas et sans dossier. Il ajoute que si l’on est épuisé, on peut dire la prière de Jésus assis ou allongé sur un matelas...
Quand ces différents auteurs suggèrent que l’hésychaste devrait prier assis, c’est sûrement à considérer comme une innovation. Un tel conseil devait être insolite pour un lecteur du XIIIe ou du XIVème siècle, bien plus que pour nous aujourd’hui. Dans les temps anciens, l’attitude normale pour la prière chrétienne était la position debout. Dans les Apophtegmes des Pères du désert, saint Antoine d’Egypte voit son ange gardien « assis à travailler, puis se levant de son travail pour prier, se rasseyant de nouveau et tressant une corde puis se relevant encore pour la prière. » Quand saint Arsène veillait toute la nuit en prière, il restait debout tout le temps. Un moine pouvait répéter des versets des Psaumes en train d’effectuer, assis, un travail manuel ; il pouvait être assis pendant la méditation mais, lorsqu’il était engagé dans la prière à l’exclusion du travail manuel, il était normalement debout.
Le siège bas recommandé par Grégoire le Sinaïte implique que l’hésychaste sera dans une position accroupie et presque fœtale : « péniblement courbé » souligne-t-il. Syméon dit explicitement : « Appuie ta barbe sur la poitrine et tourne l’œil corporel avec tout ton intellect, sur le milieu de ton ventre, autrement dit ton nombril. » C’est assurément une telle attitude qui inspira la raillerie de Barlaam sur les « contemplateurs du nombril. » En réalité, le nombril semble ne jouer aucun rôle particulier dans la symbolique psychosomatique des hésychastes. Leur but est de se concentrer sur le cœur plutôt que sur la région au-dessous du cœur. Il est significatif que Palamas, en répondant à Barlaam, parle plus généralement « de la poitrine ou du nombril » : « l’aspirant spirituel ne devrait pas promener son œil de-ci de-là, mais le fixer sur sa poitrine ou son nombril, comme un point d’appui. »
Des auteurs plus anciens qui, généralement, abandonnent toute référence au nombril, parlent plutôt de fixer le regard sur le lieu du cœur, ce qui est certainement plus prudent. Palamas donne à cette position accroupie pendant la prière un précédent biblique et une explication théologique. Le précédent biblique est celui d’Elie au mont Carmel : « Elie gravit le sommet du Carmel où il s’accroupit sur le sol, la tête entre les genoux » (1 R 18, 42). Dans son explication théologique, Palamas se réfère à deux types de mouvement mentionnés par saint Denys l’Aréopagite : le mouvement « en ligne droite » par lequel l’esprit perçoit les objets hors de lui-même, et le mouvement « circulaire » par lequel il « retourne à lui-même » et devient conscient de son propre monde intérieur. C’est, dit Palamas, ce second mouvement circulaire qui constitue « la plus haute activité de l’intellect, et la plus convenable. »
Il continue ensuite en affirmant un principe de base : « Après la chute, notre être intérieur s’adapte naturellement à des formes extérieures. » L’hésychaste applique ce principe quand il
adopte la position accroupie dans la prière : en se « courbant lui-même en la forme d’un
cercle », il facilite l’établissement à l’intérieur de lui-même du mouvement circulaire de
l’intellect ; il est ainsi apte à « rentrer en lui-même » d’une manière plus effective.
Grégoire le Sinaïte reconnaît que cette position accroupie devient vite inconfortable mais il
presse l’hésychaste de persévérer, sans se décourager : « Ne te décourage pas, et ne te relève
pas trop vite à cause de la douleur persistante... Si tu ressens la douleur dans les épaules ou
dans la tête, endure-la avec patience et ferveur, cherchant le Seigneur dans ton cœur. » Il
considère sans doute qu’une invocation de la prière de Jésus – qui exprime le penthos,
« affliction de repentir », doit être accompagnée par une douleur physique. En cela, il diffère
des maîtres contemporains, orthodoxes ou non, qui suggèrent que le corps, durant la prière,
doit être dans une position confortable et détendue...
« Tout ce qui vit est saint » de Kallistos Ware, éditions du Cerf, p. 140-143

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