Méditation sur l'Annonciation et la Crucifixion par Mgr Martin
Ce 25 Mars 2016, nous ferons mémoire de l'incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ (Annonciation) et de sa Crucifixion (Vendredi Saint). Evènement assez exceptionnel que nous ne reverrons plus avant 2157. A ce sujet, je vous invite à lire la méditation proposée par Mgr Martin de l'Eglise orthodoxe Française.
Annonciation et Passion
Bien chers frères et sœurs en Christ,
Cette année, le 25 mars, jour de la fête de l’Annonciation, la grande majorité des chrétiens célèbrera les offices du Vendredi Saint honorant le Mystère insondable de la Passion du Christ. Cette conjonction advient deux ou trois fois par siècle. Après 2016, il faudra attendre 2157, soit 141 ans, pour que cela se produise de nouveau...
Pour en préciser l’importance, l’histoire des sanctuaires européens nous apprend qu’un phénomène extraordinaire se produit lors de la simultanéité des fêtes – au moins depuis 1633 - dans la cathédrale d’Andria, dans la région des Pouilles, dans le sud-ouest de l’Italie. Il concerne une épine de la Sainte Couronne du Christ qui y est conservée. A l’état ordinaire, elle est desséchée et présente des taches roussâtres. A cette occasion, elle reverdirait et ses taches deviendraient couleur de sang frais.[1]
Même s’il n’est pas envisageable de commémorer, le Vendredi Saint, la joie rayonnant de la conception inouïe du Verbe de Dieu dans le sein des entrailles de la Vierge Marie, la coïncidence n’en est pas moins lourde de sens du point de vue du Salut de l’Humanité. La fête de l’Annonciation et la Crucifixion constituent en effet les deux extrémités de la vie terrestre du Seigneur ; ces deux évènements liturgiques signifient les deux aspects de Son anéantissement – ou de Sa kénose, du mot grec kenosis - par amour pour nous.
Cette conjonction est hautement soulignée dans un passage de l’épître de saint Paul aux Philippiens 2, 6-8 particulièrement cher à saint François d’Assise : « Lui qui est de condition divine n’a pas revendiqué son droit d’être traité comme l’égal de Dieu mais il s’est dépouillé prenant la condition d’esclave – conception du Verbe de Dieu dans le sein de Marie -. Devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix – Crucifixion -. »
Très concrètement, en relation avec chacune de nos vies existentielles, c’est comme si nous célébrions le même jour, le moment de notre conception dans les entrailles de notre mère et le moment où nous naissions au ciel en rendant notre dernier souffle. Ces deux bornes extrêmes constituent le mystère même du processus de l’incarnation que le Christ est venu assumer en plénitude pour sauver la matière de toutes les mémoires qui la hantent et la possèdent.
Et il est toujours important à ce propos de rappeler que le Christ n’est pas venu pour nous sauver de la matière mais pour sauver la matière en lui redonnant ses lettres de noblesse et sa stature ontologique de « Demeure de la Lumière ».
La contemplation conjointe de ces deux évènements nous rappelle combien vie et mort sont intimement liées. Nous sommes conçus pour vivre mais aussi pour mourir. Dès la conception est inscrite l’annonciation de la mort, non comme une fin en soi mais comme une naissance au ciel, comme un passage de la vie à la Vie. Ce n’est pas triste, c’est ainsi et c’est inscrit dans les profondeurs de la Création.
C’est aussi ce que le Christ est venu assumer. La tradition liturgique a régulièrement souligné les correspondances entre les récits de Sa Nativité et Sa Passion (Joseph de Nazareth/Joseph d’Arimathie, mangeoire/tombeau, langes/linceul, rois mages porteurs de myrrhe/femmes porteuses d’aromates…)
Mais pour Jésus comme pour Marie, et à travers eux, pour chaque être humain, le secret de la mort est à découvrir dans les profondeurs mêmes de la Vie ; dans l’adhésion claire et sans faille à l’Amour infini dont nous sommes aimés par la Divine Trinité. Et en même temps, ce grand-œuvre de l’Amour est sous-tendu par un petit mot simple et immense à la fois, LE mot religieux par excellence, permettant de tout « relier » et de tout « relire » dans la vastitude de la Présence : OUI ou FIAT…
« Oui » à l’Amour ; « Oui » à l’Amor – mot signifiant Amour en latin -
En effet, le FIAT – « Qu’il en soit ainsi » - jaillissant du sein de Marie au commencement du chemin et déposé dans le cœur de Dieu est le fruit non d’une obéissance contrainte mais d’une liberté offerte par amour. Dans son amour pour le Seigneur, Marie nous reconduit vers ce lieu du « Oui » originel, ce lieu de la confiance et de l’innocence originelles, un « Oui » plus jeune, plus profond, plus antique que tous les refus que nous avons pu opposer à « l’Inattendu Aimant » ; ce « Oui » à l’Amour, c’est le « Oui » de l’Alliance retrouvée.
De même, le FIAT déposé à la fin de la vie terrestre du Christ, particulièrement lors de l’insondable agonie du Seigneur dans le jardin de Gethsémani : trois fois, Il va et Il vient jusqu’à la capitulation ultime où la volonté humaine de Jésus s’agenouille devant la Volonté de l’Amour L’invitant à assumer jusqu’au bout sa mission rédemptrice.
« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. » (Matthieu 26, 39)
« Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite. » (Matthieu 26, 42)
« Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite. » (Matthieu 26, 44)
Ce « Oui » à l’Amour, ce « Oui » à l’Amor l’emporte finalement et réconcilie en Lui Sa volonté humaine avec le Vouloir divin. Alors Il revient vers ses disciples : « désormais vous pouvez dormir et vous reposer ; voici venue l’heure où le Fils de l’Homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici tout proche celui qui me livre » (Matthieu 26, 45).
C’est libre et unifié dans l’Amor que le Christ s’avance maintenant vers la mort, non comme le puni de la Justice Divine comme a pu nous le faire croire une pensée théologique pervertie mais comme l’insondable expression de l’Amour de Dieu pour chacun d’entre nous : « Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons proclamé parmi vous, n’a pas été oui et non ; il n’y a eu que oui en Lui. Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en Lui… » (2 Corinthiens 1, 19-20)
C’est ainsi que le Christ pourra énoncer cette parole de Seigneur : « Ma vie, personne ne me l’enlève, c’est moi qui la donne » (Jean 10, 17-18)
Quoique nous ayons à vivre, oser ce Oui est l’action la plus subversive, le plus révolutionnaire qui soit : la porte des profondeurs s’ouvre alors permettant l’irruption de l’Esprit Saint dans nos vies trop souvent mesquines et étriquées pour les élargir, les soulever, les porter à un degré d’accomplissement inouï.
Ce Oui, c’est la fin du vieux monde, c’est la fin de nos vieilles vies ; c’est le début de la grande capitulation, du grand désarmement, la fin du monde des « egos armés » pour l’avènement du royaume des « ego emi » - expression grec signifiant « Je Suis en devenir »…
Que la prière d’abandon de Charles de Foucault nous accompagne en ces temps où nous nous approchons des saints mystères pascals.
Chaleureuses bénédictions à chacun et chacune…
Evêque Martin
[1] Voir le périodique « Prier » - mars 2016, p.16-17