Les mots qui dérangent - 1. Le Péché

Publié le par Paroisse Lillois

Le thème des enseignements de notre journée d'entrée dans le carême était cette année: Les mots qui dérangent.  4 mots ont ainsi été présentés lors de cette journée:Le péché, La justice, l'ascèse, Le péché originel (le péché ancestral)

Aujourd'hui nous allons aborder le premier: LE PÉCHÉ

Les mots qui dérangent - 1. Le Péché

Dans notre parcours de vie nous avons reçu une éducation morale de nos parents,  de l’école et peut être avons-nous reçu aussi une éducation religieuse ou athée. Nous avons rencontré des personnes, assisté à des événements, entendu ou lu des récits qui ont pu nous blesser psychiquement et même spirituellement. Nous nous sommes construits des défenses pour ne pas trop souffrir. Parmi ces défenses il y a le rejet ‘des mots qui dérangent’, car ils sont liés justement à ces blessures. Dans cette catégorie, beaucoup de mots du langage religieux sont chargés de connotations blessantes porter par des siècles d’utilisations culpabilisantes que nous préférons ne plus les entendre.

 Nous fermons nos oreilles et pensons à autre chose ou même nous évitons tout lieu ou toute personne qui emploie ces mots et ce vocabulaire.

Parfois ces mots ont été aussi déformés, mal expliqués, mal interprétés parce que l’état de connaissance du moment, les mœurs ou la situation politique de l’époque faisaient que nos ancêtres les ont définis comme ils pouvaient.

Parfois aussi les traductions  ont complètement déformé le sens originel. Et aujourd’hui, nous ne voulons plus (c’est le cas de le dire) en entendre parler.

Alors nous allons utiliser des synonymes ou des expressions qui atténuent ou éliminent petit à petit le mal être que le mot original générait. Ce faisant nous perdons aussi une partie du sens et à la fin plus personne ne sait exactement de quoi l’on parle.

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LE PÉCHÉ

Un des premiers mots qui rentre dans cette catégorie des mots qui dérangent, c’est le mot Péché.  

 

C’est un mot qui a pris au fil des siècles une connotation moralisante et qui est lourdement chargé de culpabilités, de fautes, de crimes, de tromperies, de mal. Il a un relent de confessionnal, d’humiliation.

Quand on dit à quelqu’un qu’il a commis un péché, qu’il est pécheur ou pécheresse, il se sent fautif, jugé, humilié, montré du doigt, dans l’erreur. Il a commis une faute. Et dans notre époque où le paraître a une grande importance nous recevons ce mot comme une insulte, comme une attaque contre notre image et cela devient insupportable, voire irritant, d’entendre ce mot.

Comme vous l’avez expérimenté vous-même, dans le langage religieux, le mot péché est prononcé régulièrement et l’Eglise n’a pas manqué de l’utiliser tant et plus pour avoir une sorte d’emprise morale sur les fidèles. Il semble même être un des mots autour desquels gravite notre vie liturgique.

Dans la liturgie dominicale, en dehors des lectures de l’A.T et du N.T, ce n’est pas moins de 14 fois que le mot péché ou pécheur est utilisé. Si nous prenons la liturgie des défunts, ça monte à 17 fois.

        

Mais qu’est-ce que le péché ?

Est-ce vraiment une faute au sens moral habituel que nous l’entendons,  c.-à-d. un acte qui est en contradiction avec une loi, une norme ou un règlement ? Pour y répondre, voyons d’abord son origine étymologique.

         Le mot français péché vient du latin peccatum qui signifie faute, action coupable, crime, erreur. Peccatum vient du verbe peccare qui signifie ‘faire un faux pas’. C’est dans le sens moral et social : commettre une faute, se tromper.

         En langage chrétien, peccatum traduit le grec amartia qui signifie l’erreur, la faute et qui dérive du verbe amartanô qui signifie ‘manquer le but, dévier, s’égarer, se tromper de chemin’.

         Le mot grec amartia, dans la traduction grecque de la bibliothèque hébraïque, recouvre  plusieurs termes hébreux, parmi lesquels : chathaat,  awôn, pescha. Le nouveau testament grec, lorsqu'il parle d’amartia l'entend bien sûr, au sens biblique du terme.

 

Mais quel est ce sens biblique?

         Le Christ, le rabbi de Nazareth utilisait le terme araméen chômé (ch dur) qui était traduit en grec par le mot opheilèma, qui signifie ‘la dette’.

         Pour bien comprendre la signification du mot péché, il faut le replacer dans le contexte de l’époque. Il  nous faut sortir de la littérature religieuse ou scandaleuse des générations précédentes, spécialement du XIXème et XXème siècles et revenir aux origines.

         Le péché dans la tête des grands prophètes du VIII et VIIème siècle avant J.C. (Isaïe, Jérémie, Amos, Osée), c’était tout ce qui détruit l’homme tant physiquement que spirituellement. C’était vu comme une sorte de prostitution aux idoles du néant, une détérioration à tous les niveaux de l’homme qui se détourne  de celui qui est le Tout-Autre, qui est la Vie, qui est Dieu.

Le péché c’est tout ce qui au lieu d’élever l’homme de le construire, vise à sa destruction, à son anéantissement.

         Le judaïsme et le christianisme enseignent aujourd’hui que la création n’est pas un processus achevé, mais qu’elle est toujours en cours. C’est important car une des raisons de la désaffection vis-à-vis de nos Eglises par nos contemporains, est le fossé qui s’est creusé entre la science, les observations scientifiques de l’univers  et les lectures fixistes des textes bibliques.  

Le pape Benoit XVI lors d’une conférence au collège des Bernardins à Paris le 12 septembre 2008 à explicitement pris position en ce sens d’une création inachevée, invitant ainsi à une relecture des textes bibliques. 

Pierre Teilhard de Chardin au 20ème siècle avait déjà énoncé un concept de création continue : « Nous ne sommes pas nés dans un cosmos mais dans une cosmogénèse », c’est-à-dire dans un univers encore en cours de construction, de création, de transformation. La science confirme ce fait et chaque jour de nouvelles galaxies naissent dans le cosmos, des nouvelles espèces apparaissent,  des enfants naissent,...

L’homme, bien que chef d’œuvre de la création, est aussi une œuvre inachevée qui vise une finalité, une destinée royale, divine.  Tout le texte biblique nous fait entrer dans la perspective d’une alliance entre un principe créé et un principe premier (créateur). C’est une invitation à une relation vivante, qui ne peut se bâtir que si nous restons en lien avec le principe qui nous fait être.

Tout ce qui vient contrecarrer cette entreprise de finalisation d'un être divinisable est appelé "péché ". Le péché c’est répondre à la tentation de se construire tout seul, sans Dieu.

L’éthique orthodoxe définit le péché comme un comportement dans lequel l’homme expérimente l’échec des épousailles divines auquel il est appelé.

La sainteté, c’est devenir ce que nous sommes appelé à être, c’est répondre au projet de Dieu qu’Il a déposé dans nos profondeurs. C’est choisir Dieu comme son époux. Le péché, c’est choisir un autre époux.

Le péché est une altération de l'existence humaine, de l'être de l'homme en tant que convié à la déification.  Le péché c’est aller à l’encontre du processus de création, c’est viser à sa destruction.

         St Paul résumait très bien ce point dans son épître aux Corinthiens : «Tout est permis, mais tout n'est pas utile; tout est permis, mais tout n'édifie pas. (1Co 10,23) … L'aiguillon de la mort, c'est le péché (1 Co 15,56). Il y a ce qui est bon pour l'homme, pour son développement spirituel. Et puis, il y a ce qui est mauvais, qui le détruit.

Le péché, est ainsi une forme de stagnation ou de régression vers l’animalité. Saint Basile le Grand disait : ‘L’homme est un animal qui a reçu vocation de devenir Dieu.’

         Claude Tresmontant (Théologien orthodoxe du XXème siècle) écrit : « Le péché ne relève pas de l'éthique ou de la morale, encore moins du juridique mais relève de l'ontologie c'est-à-dire de l'être même de l'homme, de sa réalité profonde dans ce qu'il peut avoir d'absolu, dans sa nature intime et profonde, par opposition à la seule considération de son apparence humaine. »

 

         Parfois nous entendons dire que pécher c’est ‘rater la cible’, ou c’est une ‘erreur de visée’. Mais qu’est-ce que la cible, que sommes-nous sensés viser ? Et bien c’est justement cibler, viser  notre déification avec l’aide de Dieu. Ce qui est important, c’est de ne pas séparer le but (la déification) avec le moyen (l’aide de Dieu). Sans l’aide de Dieu le but devient de l’orgueil, de la vanité.

Pécher c’est ainsi rater la cible de l’Amour.

         En somme on peut dire que le péché n’est pas à regarder comme une pensée ou un acte permis ou pas permis, bien ou mal, légal ou illégal, correct ou incorrect, mais comme la maladie de l’homme spirituel.  Parce que cette maladie l’empêche d’accomplir l’œuvre de divinisation à laquelle il est appelé. Et la cause première de cette maladie c’est l’oubli de Dieu. Le remède, c’est la foi en l’amour infini de Dieu.

 

         Alors bien sûr cette maladie spirituelle qu’est le péché va se traduire aussi concrètement dans notre vie de tous les jours. Nous sommes des êtres ternaires corps, âme et esprit et toute atteinte à notre partie spirituelle a des répercussions sur notre âme et notre corps.

 

Comment peut-on pécher ?

Dans la liturgie, avant la communion, nous énumérons toutes les formes que peuvent prendre le péché, par pensée, parole, action, intention, volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment. 

Il n'y a pas que par une atteinte à l’intégrité physique de l'homme par des crimes, des violences physiques sur autrui, et aussi sur nous-mêmes que nous pouvons pécher.  Mais toute attaque physique volontaire va priver l’homme ou le contrecarrer dans la possibilité de participer à cette entreprise de co-création d’un être divinisable.

Il y a aussi toutes les manipulations psychologiques sous toutes leurs formes comme le mensonge, le harcèlement, le dénigrement, la perversité, la jalousie, l’avarice,…

Nous pourrions dire que tout ce qui transforme une personne en objet va à l’encontre du développement de la vie et de la Vie spirituelle en particulier. Parce que objectiver une personne c’est d’une certaine façon la priver de sa liberté, la rendre esclave, lui ôter la vie, que ce soit en la faisant l’objet de la satisfaction de nos besoins ou en l’idolâtrant.  Et l’orgueil c’est de l’auto-idolâtrie  qui conduit à l’oubli de Dieu.

Le péché ne découle pas nécessairement de notre volonté ou d’un acte conscient, mais c’est aussi involontairement et inconsciemment que nous le commettons. St Paul dans son épître aux Romains explique bien toute la difficulté qu’il vit: «Car je ne sais pas ce que je fais: je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais…Et maintenant ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi. …Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, c'est le péché qui habite en moi. (Ro7.15,20)»

Le péché c’est comme un virus qui a pris possession de mon corps et qui me rend malade et affaibli.

Saint Antoine le Grand présentait le péché par ces mots:

Ce qui est selon la nature n’est pas un péché.

             Le péché, c’est le choix du mal.

Manger n’est pas un péché. Le péché, c’est de manger sans rendre grâce, sans décence et sans tempérance…

Le regard, s’il est pur, n’est pas non plus un péché. Le péché, c’est de regarder avec envie, ou avec orgueil ou avec indiscrétion.

C’est de ne pas écouter paisiblement, mais avec hostilité.

C’est de ne pas réserver la langue à l’action de grâce et à la prière, mais de lui laisser dire n’importe quoi.

C’est de ne pas travailler de nos mains pour secourir les autres, mais de s’en servir pour tuer et voler.

Ainsi, chacun de nos membres pèche de lui-même en faisant le mal au lieu du bien, contre la volonté de Dieu.
 

Heureusement que le péché est une maladie curable, mais qui demande toute une vie pour y arriver. Et le médecin des âmes, le Sauveur c’est le Christ.  Le mot grec ‘soter‘ (sauveur) signifie aussi ‘celui qui guérit’.

Durant sa vie terrestre, le Seigneur est venu nous montrer le remède à appliquer pour notre guérison. Lors des nombreux miracles de guérison qu’Il a accomplis, Il a souvent aussi et d’abord remis les péchés car la véritable santé de l’homme c’est sa santé spirituelle. Lorsqu’Il pardonne les péchés, Il libère l’homme de ce qui n’est pas sa nature propre.  L’homme a été créé à l’image de Dieu. Dieu c’est l’amour éternel. Nous sommes en bonne santé spirituelle lorsque nous exerçons cette capacité d’amour qui est en nous, pour aimer Dieu, les autres hommes et nous-même.

Plus on oublie Dieu, plus on ne regarde que son nombril, et plus on est malade spirituellement.

 

Nous ne sommes jamais pécheurs par rapport aux autres hommes, mais uniquement par rapport à Dieu.

Dans la prière avant la communion nous disons : «Je crois et je confesse Seigneur, que Tu es le Christ, Fils du Dieu Vivant, venu en ce monde sauver les pécheurs dont je suis le premier… Que la réception de Tes saints mystères, Seigneur, ne tourne point à mon jugement et à ma condamnation, mais à la guérison de mon âme et de mon corps. Seigneur, je ne suis pas digne que Tu entres en moi, mais dis une seule parole et je serai guéri. (Prière de saint Jean Chrysostome)»

Je suis le premier parmi les pécheurs. Peu importe les autres. C’est  sur moi que je peux agir. Il n’y a pas de classement relatif, les grands pécheurs, les moyens pécheurs  et les petits pécheurs. Aux yeux de Dieu, ce qui compte c’est la conversion, le repentir. C’est que nous prenions conscience de notre éloignement par rapport à l’image de Dieu qui est en nous, par rapport à ce Dieu d’Amour. Dieu a montré qu’Il était Amour avec le fils prodigue ou avec le larron sur la croix. Il n’y a pas de jugement, ni de condamnation. Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il vive.

Se repentir, c’est reconnaître la Sainteté de Dieu, son amour infini, et revenir vers Lui pour rétablir et approfondir la communion, la relation avec Lui. C’est prendre conscience que la vie à laquelle je suis appelé, c’est une vie divine. C’est ma fonction, c’est le sens de ma vie, de devenir Amour comme Dieu est Amour.

Le Christ est comme un entraîneur sportif. L’entraîneur sait ce qui est bon pour faire progresser l’athlète qui travaille avec lui.

Le repentir c’est, chaque fois après que nous avons échoué dans notre objectif, revenir vers l’entraîneur, lui demander de reprendre l’entrainement, et modifier ce qui ne va pas en nous.

La culpabilité c’est se dire: ‘je n’y arriverai jamais’ et de partir seul.   

La vocation de l’homme c’est la vie éternelle. La cible est élevée mais l’entraîneur la connait et sait que nous pouvons y arriver.  Il y a une dynamique entre l’image de Dieu et la ressemblance à laquelle nous sommes appelés à participer. L’image est un don de Dieu, mais la ressemblance vient par la libre coopération de l’homme avec la grâce divine, la grâce déifiante qu’Il nous donne.   

        

On comprend ainsi que le péché n’est pas d’ordre moral, ni amoral (étranger à la morale) ni immoral. (qui va à l’encontre de la morale)

Dans le Larousse, la morale est définie comme : « L’ensemble de règles de conduite  considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d'une certaine conception de la vie. Cet ensemble de principes est aussi appelé l’éthique. »

Dans le Littré, la morale est définie comme: « L’ensemble des règles qui doivent diriger l'activité libre de l'homme, décomposé en deux parties : démontrer que l'homme a des devoirs, des obligations, et faire connaître ces devoirs, ces obligations. « 

Dans le petit Robert, c’est : « L’ensemble de doctrines, de règles de conduite, de relations sociales qu'une société se donne et qui varient selon la culture, les croyances, les conditions de vie et les besoins de la société.

L’éthique (ou la morale) peut être individuelle ou collective et sert de base à l’action politique, la gestion des affaires de la ville ou de l’état. L’éthique se traduit par un ensemble de lois, de règles, de normes, qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l'injuste, l'acceptable de l'inacceptable, et auquel il faudrait se conformer sous peine de sanctions. L’action politique de l’homme politique d’aujourd’hui  qui ne vise qu’à organiser la ville ou l’état suivant un ordre humain moral et éthique méconnaît une dimension essentielle de l'homme, à savoir qu'il n’est pas seulement un animal politique, mais surtout un animal divinisable.

 

Le christianisme, doctrine voulant conduire l’homme vers la ressemblance à Dieu, ne se réduit pas à des actes politiques, ni à une morale parce que la finalité n’est pas la même. Le christianisme est une doctrine de la création et de la divinisation de l'homme appelé à prendre part à la vie divine.       

Tout ce qui concourt, tout ce qui coopère à cette œuvre de création et de divinisation par grâce est bon. Tout ce qui détruit, tout ce qui empêche cette œuvre de création et de divinisation est mauvais.

L’humanisme vise à sortir l’homme de son animalité pour en faire le chef d’œuvre et le maitre de la création dans cette vie terrestre, et en ce sens le christianisme  veut aussi sortir l’homme de son animalité, veut ‘l’humaniser’, mais à nouveau la finalité est différente, le christianisme vise l’éternité. Il donne à l’homme un objectif transcendant.  En ce sens le christianisme est universel et s’adresse à l’humanité entière.

 

Pour résumer, le péché n’est pas de l’ordre de la morale ou d’un ordre juridique comme il a malheureusement été présenté à tort dans les siècles passés; ni non plus d’un ordre ‘commercial’ suivant lequel on pouvait ‘racheter ses fautes’, mais de l’ordre de la maladie spirituelle.

 Ce dont l’homme a besoin pour guérir c’est de retrouver le sens premier de sa vie, qui est de vivre éternellement dans l’intimité avec Dieu, et de se laisser guider par la grâce divine.

 

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texte de l'exposé.

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