Méditation sur le Jeudi saint et le lavement des pieds

Publié le par Paroisse Lillois

 J e u d i   S a i n t   -   9 avril 2020                            Jean 13, 1-15

 

            C’est sans doute la déclaration d’amour de Jésus pour toute l’humanité. On pourrait l’appeler aussi son « testament », tellement nouveau qu’au fil des âges on a compris qu’il s’agissait de l’ « Alliance ».

 

Nouveau Testament, nouvelle Alliance... Un testament (comme la rose prête à se faner, qui lègue son parfum le plus pénétrant), c’est quand on cesse de lutter et qu’on décide d’abandonner la conduite de sa vie à « Celui qui est plus grand que notre cœur et qui nous connaît bien »... [1Jn 3, 20]

 

C’est ce qu’on a de meilleur à léguer à sa postérité quand on constate, comme on l’a déjà vu le Jour des Rameaux, que, n’ayant plus rien à donner, le moment est venu de se donner soi-même. Y a-t-il un moment plus impressionnant que celui-là ?

 

              Il y a plusieurs années, l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, pensant que le point final de son chemin terrestre était imminent, avait décidé que sa mort serait le commencement de ce qu’il avait de meilleur à donner de lui-même. Et voici, dans sa lettre d’adieu  –  son testament  -  une phrase qu’il faut spécialement épingler en ce jour :

 

« J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever. »

 

            N’est-ce pas une invitation à contempler Celui qui nous réunit ce soir autour de lui en vue de donner à sa lettre d’adieu, à son testament, toute la force d’amour dont il était capable ? Il avait assez parlé, semble-t-il, c’est pourquoi il voulut ajouter le geste à la parole.

 

Il y a des moments où l’amour déborde tellement qu’on ne sait plus très bien comment exprimer cette surabondance qui fait éclater le cœur.

 

Lui qui durant trois années avait dû, presque malgré lui, regarder de haut tant de gens blessés, abattus, écrasés par la vie, par les autres et par eux-mêmes, voici qu’il se laisse envahir par ce débordement d’amour infini : « Maintenant, l’heure est venue de les rejoindre en vérité, et de me mettre littéralement à leur niveau d’esclaves et d’hommes blessés. »

 

C’est ainsi que, n’ayant qu’une cruche d’eau  pour seul trésor à partager  -  l’eau, signe de l’amour de Dieu pour son peuple  -  « ayant versé de l’eau dans un bassin, il se mit à leur laver les pieds ».

 

            Il va dire et redire encore  -  jusqu’à la fin du temps évidemment  -  « Aimez-vous comme je vous ai aimés ... Je ne vous appelle plus serviteurs, car vous êtes mes amis … »

 

Et pour que ces paroles prennent chair en nos cœurs comme Lui-même ne cessait de prendre chair en ce monde, pour que nous puissions enfin accepter de nous lever, accepter d’être plus beaux que les jugements que nous proférons quotidiennement sur nous-mêmes, pour nous révéler finalement que l’Amour vient d’en bas, « il prend un linge qu’il noue à sa ceinture et s’agenouille devant nous ».

 

            Affolement. Stupéfaction. On le cherche partout, dans les hauteurs, au-delà des mers et des planètes ; et voici qu’il se révèle au plus profond, au plus bas, au plus méprisable de moi-même : il est à mes pieds.

 

 

L’amour vient d’en bas et je ne le savais pas. On m’avait toujours fait croire qu’il tombait d’en haut.

 

            Affolement et stupéfaction. Refus de l’insupportable proximité de ce Dieu très bas, trop bas : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »

 

Comme il est difficile d’accueillir un Dieu qui ne cesse de refuser la place que nous voulions lui infliger : sur un piédestal ; car il ne se tient pas au sommet, mais il trouve bonheur à rejoindre l’homme là où il se trouve : au pied de la montagne, pour mieux l’escalader en sa compagnie...

 

            Que veut nous dire Jésus, ce soir ? Son message est très simple, trop simple peut-être pour nous  -  on finissait par s’habituer à croire que l’amour tombe d’en haut, de très haut.

 

Ses mains qui nous lavent les pieds avant d’être clouées sur un bois, ses mains nous disent avec toute la tendresse du monde : « Je t’aime, et je ne t’oublierai jamais...

 

... Et toi aussi, pour t’éviter de perdre la mémoire, tu feras de même en mémoire de moi pour mes frères et sœurs qui sont les tiens. »

 

            Serait-ce surréaliste ? Quel rapport entre, d’une part, ces mains et ces pieds mêlés par la divine tendresse dans une bassine d’eau et, d’autre part, les milliards de dollars porteurs de mort et les millions de victimes innocentes de la famine et du manque d’eau potable, de la peste d'hier et du coronavirus aujourd'hui, de la guerre là-bas et de l’injustice chez nous, ici et ailleurs ?

 

            Non, cela n’a rien de surréaliste car, si le Seigneur Jésus révèle sa présence humblement dans la goutte d’eau, il se révèle douloureusement dans les fleuves de sang. La goutte d’eau, c’est la discrétion d’hier et d’avant-hier et du quotidien ; les fleuves de sang, nous les verrons couler demain, le Vendredi ; aujourd’hui  -  ce Jeudi soir  -  c’est l’heure où il prend son Corps pour en faire du pain et nous le livrer comme on le partage avec ceux qu'on aime. Le Jeudi Saint, c’est le jour où l’on devient silence pour manger Celui qui devient nourriture.

 

            C’est l’heure du mystérieux Corps à corps de l’Alliance  -  Dieu et l’homme, l’Homme-Dieu  -   où l’on devient Celui qu’on reçoit. C’est aussi l’heure où l’on vient confirmer les prêtres dans leur mission de serviteur ... en acceptant silencieusement que, eux les premiers, ils vous plongent les pieds dans l’amour du Dieu très-bas, pour que nous suivions leur exemple et fassions de même, à la suite des soignants qui risquent leur propre vie pour sauver celle de leurs frères et sœurs en humanité, et afin qu’en notre quotidien, nous puissions, nous aussi,

 

Comme Lui, dresser la table

Comme Lui, nouer le tablier

Nous lever chaque jour

Et servir par amour

Comme Lui...

 

P. Marc Chodoire                  

Merci à Jacqueline C. de m'avoir transmis cette méditation sur ce texte de l’Évangile de Jean

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